vendredi 5 décembre 2008

A mon humble avis

- Suivant les conseils de mon psy, j'ai entrepris cet après-midi de faire la liste des qualités objectives spécifiques des chats. La réponse est aucune.
Dessin et texte de Voutch
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mardi 2 décembre 2008

Dont acte


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- Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux ombres ont tout à l'heure passé
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Leurs yeux sont morts, et leurs lèvres sont molles
Et l'on entend à peine leur parole
Et.
Ça t'évoque quoi?

- Rrrr......

- C'est le début d'un poème de Verlaine...Tu veux que je poursuive? Si on essayait de s'émouvoir tous les deux, pour passer le temps. J'aime ce poème parce qu'il...

- Rrrr......

- J'ai remarqué que tu traversais les années et les saisons avec le même flegme imperturbable. Les premiers flocons de neige ne t'ont fait ni chaud ni froid?

- Rrrrr........

- Ce matin, la pièce d'eau avait revêtu son costume de tragédie. Pas âme qui vive...juste cette brume stagnante qui étouffait la lumière habituellement reflétée par l'étang. Toutes les couleurs s'étaient éteintes par je ne sais quel maléfice. Je marchais du bout des pattes, de peur de réveiller une divinité en sommeil. Et puis soudain... le voile s'est levé sur deux silhouettes dont je n'aurai jamais soupçonné la présence. Tu frissonnes là?

- Rrrrrrrr.....

- Dans le vieux parc solitaire et glacé,
deux spectres ont évoqué le passé...

- Rrrrrrrrrrr....

- Je vois bien que tu connais la suite. Dis moi la suite, je suis sûr que tu la connais! Allez! - Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve?


- Non

- Oui, c'est ça! Ah les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos...
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- C'est possible

- Ah non, tu m'as coupé! laisse moi finir. Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir

- Rrrrrr.....- L'espoir a fui, vaincu vers le ciel noir....Rrrrrr....

- Ah, ces vers sont saisissants! ça te friserait les moustaches de t'émerveiller un peu? Si seulement tu pouvais cesser ce bruit de moteur sourd qui te viens de je ne sais quel organe...La beauté doit bien t'inspirer autre chose que ce regard fixe et absent, hein? C'est beau, non?

- Dont acte.

- Pardon?

- Je suis un greffier. Je prends acte de la beauté des choses comme des variations climatiques mais ne puis rien faire d'autre.

- Pauvre greffier ronronnant! Tu es donc réduit à prendre acte de l'effervescence de la vie comme de la beauté d'un poème...

- Pire encore, je suis condamné à savourer le rien et l'infini, à longueur de journée....Rrrr......

lundi 17 novembre 2008

Comme d'habitude




"Pourquoi toujours mon arbre?"




WAWAWAWA! Tant pis si je dérange! Je me demande bien qui ça pourrait gêner de voir un chien heureux! WAWAWAWAWA!



Cela fait déjà vingt cinq minutes que je me prépare à un bonheur imminent. Je viens enfin d'entendre le ronronnement de la grille automatique qui prend son temps pour coulisser, puis une porte de garage qui se referme lourdement. Vient le joyeux tintement des clefs actionnées dans la serrure de la boîte aux lettres. Mes aboiements redoublent d'énergie lorsque j'entends le froissement des enveloppes mêlé au son familier des talons qui résonnent dans la cage d'escalier.

Au premier tour de verrou, mes pattes deviennent folles et me font faire des cercles toujours plus rapides autour de moi, comme si je me transformais en turbine capable d'accélérer le temps.

Ce qui va se passer me rend fou de joie, c'est la raison pour laquelle je suis si impatient.

Je vais...comment dire ça sans vous paraître trop décevant...ah oui, je vais faire l'exploit de reproduire la journée d'hier et celle d'avant hier, avec la même fraîcheur d'esprit. Autrement dit, je m'apprête, comme tous les jours, à faire ma promenade du soir.

Ma patronne ne parvient pas à comprendre comment, après 2.060 jours passés à respecter les mêmes horaires et à se promener aux mêmes endroits, je continue à vivre mon quotidien avec un enthousiasme toujours aussi intact.

Elle ouvre la porte, pose le parapluie, change de chaussures, prend une casquette et soupire en s'emparant de ma laisse. Mécaniquement, elle me flatte le bout du museau, comme pour rendre hommage à mon indécrottable joie de vivre.

Le sol imprégné d'humidité me colle aux coussinets; la terre et le ciel sont noyés dans la pénombre et les branches déplumés des peupliers jouent à se faire peur, comme si elles étaient encore à Halloween. A l'orée de la forêt, on devine le chemin grâce à un projecteur solitaire, le seul dont l'ampoule n'a pu être atteinte par les gamins du quartier: c'est nuit de pleine lune.

Le moment idéal pour se concentrer et faire un voeu.

Alors, je me lance: je souhaite très fort que rien ne change profondément. Mes habitudes, j'y tiens comme si c'était mes enfants. Je les entretiens avec amour et quand il le faut, je leur fait prendre le large. Mais je les laisse revenir à moi avec toujours autant de bonheur.

Rêver d'un ailleurs, cela m'arrive souvent, partir et goûter à l'émotion d'une fugue, je n'y résiste pas toujours, mais rien ne me rassure autant que de pouvoir compter sur mes habitudes.

Il serait dommage de confondre habitude avec manie ou paresse. Le Larousse lui-même fait rimer l'habitude avec « aptitude », acquise par répétition. Grâce aux habitudes, je développe des capacités dont je n'ai même pas conscience.

Mais mon attachement aux habitudes fait-il de moi un chien prévisible?

Ma patronne pense que oui car, chaque soir, je vais marquer mon territoire sur le même arbre.

Elle ne voit pas cependant que j'appréhende mon arbre d'une façon toujours différente, côté nord, sud, est, ou ouest. Je lève tantôt la patte arrière droite, tantôt la patte arrière gauche. Tout dépend du vent, de la qualité de l'air et de l'angle qui me permettra en un seul jet, de laisser une empreinte la plus étendue possible. Je suis en progrès constant.

Comme à chaque fois, pendant que je procède à ces simulations hésitantes de marquages de territoire, je la vois qui passe d'un pied à l'autre en serrant les dents et en remontant son col.

Que mes habitudes et mes rituels l'exaspèrent par temps humide et froid, je le conçois mais j'en fais une question de discipline personnelle.

Les habitudes, c'est tout ce qu'il reste pour lutter contre la folie humaine, la course à la rentabilité et la logique infernale d'une libéralisation toujours plus aveugle et cynique. Les responsables eux-mêmes en appellent aux bonnes habitudes alimentaires, sanitaires et environnementales aux fins de nous inviter à nous protéger contre leurs propres décisions ou leur laissez-aller.

Les habitudes pourrait bientôt constituer une stratégie savante de survie. S'habituer à ne pas ingérer de pesticides n'est pas à la portée de la majorité. Quand certains tentent de s'habituer à bien manger, les autres ne peuvent que s'habituer à entendre les risques qu'ils encourent.

Et comme d'habitude, la narration d'un fait inconsistant me ramène à des préoccupations sans rapport avec mon récit initial.

Fort heureusement, je retrouve ma bonne humeur car je réalise que demain, il se passera quelque chose d'incroyable, enfin j'espère. Aux environs de 19h00, j'entendrai le ronronnement de la grille automatique auquel succèdera le grincement de la porte du garage.

Je vivrai encore le miracle d'une journée ordinaire, qui pourrait me laisser croire que rien ne change véritablement alors que ma forêt aura sans doute respiré, silencieusement, un peu plus de dioxyde de carbone.

lundi 20 octobre 2008

Temps mort










Renaud aurait aussi bien pu chanter que ce n'est pas l'homme qui prend le temps mais le temps qui prend l'homme.

Ici, c'est très différent. Du temps, vous en aurez à gogo. Vous pouvez vous en servir sans complexe, sans avoir peur de le laisser déborder.

Vous trouverez du temps qui passe à l’allure d’un TGV mais aussi celui qui s'écoule lentement, comme un robinet mal fermé.

Les temps durs et les temps lourds, ça ne se fait plus. Complètement Has been.

Nous vous proposons désormais des modèles très faciles à porter: du temps souple qui s'étire comme un élastique ou, pour les inconstants, du temps tellement léger qu'il finira par tourner…en temps de chien. C’est dire. On pense à tout le monde, c'est un véritable défilé.

Mais le plus rare, le plus insaisissable est le temps suspendu, celui après lequel je ne peux pas m'empêcher de cavaler.

Car c’est un moment à ne pas manquer, aussi important qu'une éclipse, celui où vous surprenez le temps en train de se suspendre, comme s'il voulait se tuer lui-même.

Cet instant suspendu, ce peut être celui où une station balnéaire sombre silencieusement dans une nouvelle dimension et se trouve rendue à une beauté sauvage et farouche chaque matin inégalée.

A ce moment là, tous les temps se réunissent pour rejoindre la mer et se transformer en une obsédante mélodie à quatre temps. C’est la plainte du temps qui se croit noyé ou mort.

Ici, on m'imagine soustrait au temps alors qu'au contraire, j' évolue dans le mécanisme même d'une horloge, dont le pendule est remplacé par le va et vient des marées. Dans cet endroit que l’on croit intemporel, le tic et le tac s'amusent à effacer mes pas et à affoler ma course qui veut échapper à l'écume.

Bienvenu dans les entrailles du temps, le temps universel, celui de l'éternel renouveau.

Ici, je veux croire en tout, à la sagesse et à la folie, à la joie et à la mélancolie, au pathos et à la fantaisie, aux fantômes et aux vivants. Il n'y a plus de crainte à avoir. J'ai trouvé le bon tempo et tant pis si je le perds à nouveau.

Il n y a rien de tragique à perdre son temps ni même à le traiter avec désinvolture. Le temps ne vous en voudra jamais. Bien au contraire, il reviendra de plus bel. Pas moyen de tailler la zone sans lui, il me colle maintenant à la peau.

Le temps et moi, c'est une histoire sans fin, sans que l'on sache vraiment qui court après l'autre.




L'Horloge, et son coucou



mercredi 24 septembre 2008

Balloon dog



















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Je veux tout: le passé, le présent, le futur
Ou plutôt rien: défaire les conjugaisons
Qui cloisonnent le temps. Puis jeter en pâture
Mon âme oubliée, vaisseau en flottaison

Je laisse aux doux rêveurs la quête du sublime
Et aux désenchantés le poids de l'absurde
Une fuite d'hélium m'a fait renoncer aux cimes
Mais je n'irai pas rejoindre les multitudes

Par bonheur, j'ai croisé le mécène Pinault
Faire des euros aide l'art à s'éléver
Juste des rondeurs moulées par un mégalo
Recyclent dans mes reflets les fastes passés

Ma couleur magenta nargue le sage Hercule
Dans le salon où sont peints exploits légendaires
Les touristes, en entrant, voient d'abord mon derrière
Qu'est ce le vrai génie? C'est savoir coincer sa bulle



Balloon dog, magenta, Jeff Koons

en haut: Balloon flower, yellow.



























jeudi 4 septembre 2008

La planète des chiens


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C'est au Bar Le Bigouden Blues, non loin de la plage, que nous nous retrouvons. Cette région de Bretagne a été désertée en cette fin du mois d'août et Bug a décidé d'y terminer ses vacances, après avoir été cloîtré 10 jours en plein coeur de la forêt de Poigny.

C'est le moment pour lui d'amorcer une réflexion globale et de faire le bilan sur près d'une année de blog.

Pour la première fois, il a accepté un rendez vous avec un journaliste de notre magazine. D'emblée, Bug nous paraît serein et confiant. Son pelage d'un noir intense est pailleté de sable fin. Le sel a laissé une empreinte argentée sur ses pattes qui viennent de goûter à l'écume de l'Océan. Il sent l'iode, les huîtres et le hareng fumé déterré fraîchement d'une poubelle du coin. Cet assemblage d'odeurs trahit la complexité du personnage et son refus de se résigner à ne poursuivre qu'une seule quête.

Et pourtant, la simplicité de sa mise (il ne porte qu'un vieux collier de cuir) et son air débonnaire le rendent immédiatement accessible. Un filet de bave s'étire du coin de sa babine, il se roule par terre: Bug a décidé d'être lui-même.

WWM: Merci d'avoir accepté ce rendez-vous. Tout d'abord, pour tous ceux qui ne connaissent pas encore votre blog, comment le définiriez-vous?

B: Je le définirai comme un outil de promotion canine. Oui, il existe dans mes messages un caractère indéniablement militant et revendicateur.

WWF: Que voulez-vous dire? Vous pensez que la société actuelle ne laisse pas suffisamment de place aux chiens?

B: je reconnais que des efforts sont faits: nous avons nos propres structures pour nos besoins, nos motocrottes, nos pensions de retraite, nos centres de remise en forme, nos psychologues et des rayons entiers dans les jardineries pour notre seul divertissement. Par ailleurs une dizaine de magazine nous sont consacrés ainsi que des émissions télé. Je pense que cela procède d'un engouement relativement récent de la Société pour les pets, mais finalement assez superficiel.

WWM: Pour les pets?...Est-ce votre façon de dire que la société actuelle n'aime à produire que du vent?

B: Non, je parlais des « pets », terme qui désigne les animaux domestiques. Je me suis mis à l'anglais récemment. Je ne pense pas que la société produise du vent avec nous dès lors qu'elle nous utilise pour encourager la propension consumériste des êtres humains. Je considère que compte tenu du pouvoir économique que nous représentons, nous devrions être reconnus à notre juste valeur. C'est le thème de l'ouvrage que j'écris actuellement: décadence et grandeur du monde canin. Je veux redonner ses lettres de noblesse à l'Histoire canine et révéler les véritables enjeux de notre développement.

WWM: L'histoire canine? Vous estimez donc que les chiens ont eux aussi une Histoire? Vous revendiquez une culture?

B: Ce que j'essaie de dire c'est que l'histoire n'est ni plus ni moins qu'une succession de conquêtes, de pertes et de reconquêtes. Les chiens passent leur temps également à conquérir des territoires. Cependant, ils le font de façon plus discrète et écologique. Les jets d'urine n'ont jamais perturbé l'écosystème de la planète. Notre empire s'accroît de jour en jour et nous n'en avons jamais fait tout un roman traduit en cinq langues. C'est manifestement une erreur puisque nous sommes confrontés aujourd'hui à un vide culturel et identitaire. L'avantage cependant de notre hégémonie silencieuse est que rien ne peut venir la contrarier. Saviez-vous que plus du quart des jardins du château de Versailles m'appartient? C'est précisément parce que mon droit de propriété n'est pas connu qu'il n'est pas menacé. Je mériterai donc d'avoir mon nom dans les ouvrages. Après tout, même les chats ont leur Histoire, qui remonte à plus de 3000 ans avant J-C. Certains étaient vénérés en Egypte! Sait-on pourquoi? Leur mystère, leur silence, leur regard glacé? Tu parles! Le seul mystère que je veux bien leur reconnaître est leur aptitude surnaturelle à passer des journées entières à ne rien faire si ce n'est à se lisser les poils. Moi, il faut toujours que je m'occupe, sinon je deviens dingue. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire un ouvrage historique.

WWF: C'est marrant, plus vous dites n'importe quoi, plus votre discours se tient.

B: Vous savez, j'ai longtemps été privé de paroles. J'ai passé la moitié de mon existence à me faire comprendre par des regards insistants, des penchements de tête, et des pivotements d'oreilles. Les gens disaient à mon propos qu'il ne me manquait que la parole. Inversement, je notais que les hommes avaient toute la liberté d'expression souhaitée mais qu'il ne leur manquait que la pensée. Je ne dis pas n'importe quoi. Je travaille à rendre crédible ce qui ne l'est pas; c'est tout de même plus drôle que de donner corps à ce qui existe déjà.

WWF: Vous semblez afficher un certain pessimisme mais on se demande si ce n'est pas par pure affectation. Vous pensez que ça vous donne plus de profondeur?

B: En vérité, c'est plutôt la hauteur que je recherche. Avoir un regard lucide et distancé me donne le sentiment d'avoir les pattes plus longues.

WWF: Vous êtes assez catégorique dans vos propos et vous semblez bien loin du gentil chien-chien du mois d'octobre 2007 qui passait son temps à amuser la galerie. Ne vous prendriez pas un peu trop au sérieux? Vos lecteurs se sont lassés et vous trouvent moins sympathique. Il y aurait même eu quelques crispations avec votre patronne.

B: Qu'est ce que j'y peux, moi, si des milliers de touristes viennent du monde entier pour voir le Château de Versailles et qu'au final, c'est moi qu'ils photographient? Et dans mon quartier, je suis crains et respecté: les commerçants s'empressent de me gratifier de petits présents sans même attendre mes tentatives d'intimidation. Les plus grands s'inclinent devant moi. Il est possible que ma patronne en ait pris ombrage. Cependant, la séparation que nous nous sommes imposée cet été était une décision commune. Je sentais le besoin de m'isoler pendant quelques jours en pleine nature pendant qu'elle avait décidé de vivre les turbulences des sites touristiques. Il n'y a pas eu d'abandon à proprement parler, ni d'un côté, ni de l'autre et j’ai été sincèrement heureux de la retrouver en Bretagne.

WWF: Cela n'a rien à voir avec la belle blonde prise en photo à vos cotés alors que vous « faisiez les courses »? Le sac n'était pas à vous semble t'il et il s'en est fallu de peu que votre patronne ait été déclarée responsable de ce vol à votre place. Heureusement, elle a pu le restituer en parfait état.

B: Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Bug traque une puce en m'ignorant. C'est sa façon de me faire comprendre que l'entretien est terminé.

En sortant du bistrot, il retrouve sa bonhomie habituelle. Avec désinvolture, il lève la patte et me lance, blasé:
« Voyez, le Bigouden Blues m'appartient désormais. »

samedi 30 août 2008

Si on l'avait fait


Bug, qui aime à voir son ombre croître sous le soleil du soir
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Quel nouveau démon l'a encouragée à traverser l'étendue d'eau tiède qui sépare la plage du Men-dû d'une langue de sable sans intérêt, à peine accrochée au continent. Pour une fois, je choisis de ne pas la suivre car je préfère rester sur la plage où je peux à loisir poursuivre les cerfs volants et semer impunément la panique chez les mouettes.

Elle s'est convaincue qu'à partir de l'île de Stuhan (qui n'est même pas une île), on peut rejoindre, sans perdre pied, la plage du Poulbert et atteindre celle de Ty Guard en passant par Les Rouignous.

Il suffit simplement d'attendre que la mer prenne un peu de recul et oublie de maintenir encerclée cette escale idéale.

Elle s'est surtout convaincue qu'elle sait lire une carte et que ce minuscule territoire, qui représente à peine une miette à l'échelle planétaire, n'a pas besoin d'un mode d'emploi plus complexe qu'une brochure piquée à l'Office du tourisme.

Je l'observe à distance, réservé mais admiratif. Oui, ma patronne fait bien partie de ses aventurières au long cours, de celles qui parviendraient à vous transformer une station balnéaire qui sent l'huile solaire et la barbe à papa en une terre sauvage et hostile, une terre qui ne livre ses secrets qu'aux braves, aux audacieux et aux poètes. Aux insensés.

Elle retrousse son pantalon. Les premiers pas seront sans doute les plus difficiles mais elle pense à Maud Fontenoy et son trimaran ou encore à Ellen Mac Arthur et sa traversée de l'Océan Pacifique. Il n'existe rien de plus ambitieux et de plus beau qu'un défi lancé à la Mer.

A la différence de ses héroïnes médiatisées, ma patronne accèdera sans doute à une victoire silencieuse, mais non moins splendide. Elle a d'ailleurs refusé tout secours technique pour son exploration. Parcourir l'Océan Atlantique, juste en retroussant le pantalon et sans écailler le verni de ses doigts de pied, elle en est capable.

Certes, le sol est un peu vaseux, les algues glissantes, et sa démarche mal assurée. A chaque pas, son pied sonde les bas fonds marins avant de se poser. Je pousse un gémissement lugubre, ne serait-ce que pour ajouter à ce magnifique tableau l'intensité dramatique qui le rend encore plus captivant.

Elle se retourne et d'un regard me supplie de ne pas la rejoindre.... je comprends...ce genre de traversée s'accomplit seul ou pas du tout.

Cependant, elle modifie sa trajectoire: le chemin le plus court est rarement le plus facile. Il faut prendre la mer par surprise, parole de marin, et avancer à contre courant.

Je suis figé, comme terrassé par la peur: ses genoux roses sont maintenant immergés!

A quel moment ai-je vraiment paniqué?

Je crois que c'est à l'instant précis où je n'ai vu d'elle que son bras droit, tendu vers un seul objectif: maintenir le téléphone portable hors de l'eau (il s'agit tout de même d'un LG à touches tactiles).

A t'il fallu qu'elle se retrouve subitement aspirée par un tombant? Le plus troublant est qu'elle se trouve presque à ma portée, à quatre ou cinq mètres de moi. Il paraît que les pièges sablonneux sont fréquents à cet endroit.

Sans réfléchir, je m'élance dans sa direction.

Avant de poursuivre mon récit, je dois vous faire un aveu et surtout mettre fin à une idée reçue: non, tous les chiens ne savent pas nager. Pour ma part, je suis ablutophobe, voilà qui est dit...

Vous allez comprendre pourquoi mon instinct me faisait défense de goûter aux joies de la brasse coulée ou de la nage papillon.

En effet, dès que j'ai perdu patte (je continue ma narration au passé car je ne souhaite pas revivre la scène au présent) mon abdomen s'est trouvé comme gouverné par une force centrifuge inexplicable. Loin de parvenir à fendre les vagues, je roulais avec elles.

Mes pattes ne faisaient que mouliner vainement, tantôt à l'air libre, tantôt en immersion totale, mais sans résultat probant au niveau de la progression aquatique.

Je m'en voulais car bien malgré moi, je ridiculisais l'entreprise héroïque de ma patronne mais c'était plus fort que moi: je ne cessais de vriller et je notais même une accélération de ce mouvement perpétuel à chaque ressac de la Mer.

C'est ainsi que j'ai fini par attirer la sympathie d'un pêcheur à la ligne sur le chemin du retour, attendri par ce qui lui semblait être les espiègleries d'une otarie échouée sur le littoral breton. Il m'a même lancé un maquereau.

Le plancton venait se livrer pacifiquement dans ma gueule ouverte.

Je réalisais alors que tout se conjuguait miraculeusement pour me faire tenir ainsi indéfiniment. De l'eau, de l'air et une alimentation à base d'oméga 3 pouvaient bien me rendre increvable. D'ablutophobe, je devenais amphibie.

Le quart de seconde où il m'était permis d'être à l'endroit, j'apercevais ma patronne revenue au point de départ, en train d'essorer furieusement son pantalon. J'étais tellement content de la voir sur la terre ferme que je renonçais à la tentation de vivre en animal marin solitaire et autoroulant, à la plus grande déception de mon lanceur de maquereaux.

J'ai pu alors rétablir mon équilibre en déployant mes oreilles à la façon d'un planeur. Je dois reconnaître que la nature fait bien les choses. Dans mon cas, elle a compensé l'handicap d'un corps trop long au centre de gravité aléatoire en m'accordant une belle ampleur au niveau des oreilles. Tel un Albatros, cette envergure me permet de m'élever au dessus des contingences humaines et surtout de me tirer des situations les plus difficiles.

Le temps d'arriver, ses vêtements étaient presque secs. Et alors? Je n'ai jamais prétendu détenir le diplôme de sauveteur en mer.

Elle avait pris place sur un rocher d'où elle pouvait contempler paisiblement la pointe de Ty Guard. La Trinité se trouvait juste derrière. Au loin, une petite barque rouge semblait guetter le soleil jusqu'à son coucher, comme pour percer les mystères de sa descente en deçà de l'horizon.

Après tout, n'était-on pas bien là, à toucher du regard l'inaccessible? Notre inertie n'avait rien d'extraordinaire mais elle était de celle qui aurait pu inspirer Friedrich et son goût pour les voyages immobiles et spirituels, où l'homme arrive au point culminant de son exploration et se perd dans la contemplation d'un paysage improbable, trop beau pour être réel. Au crépuscule, il a la sensation d'être le témoin unique de la rencontre entre deux mondes.

J'aurai été tenté de faire de cette aventure une métaphore sur la beauté et les promesses d'un désir inassouvi mais je dois cesser de tout interpréter, sauf à devenir aussi tordu que mes pattes. Plein de jolies choses se bousculaient dans ma tête, comme si je venais de mettre la main inopinément sur un trésor de pensées en tous genres.

Si on l'avait faite, cette traversée, aurais-je connu les joies de cette méditation inspirée?

Je concluais que décidément rien ne me procurait autant de bonheur que cet état de latence. Je pouvais laisser libre cours à mon imagination et à mes élucubrations mystiques. Dans le fond, les choses deviendraient vite ennuyeuses si on devait les réduire à ce qu'elles sont.

jeudi 19 juin 2008

Tu chantes faux et en plus, tu chantes fort

Cela fait déjà une heure que je suis coincé dans le coffre à respirer le même air qu’une plante verte.
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Ce serait supportable si ma patronne se concentrait vraiment sur sa conduite et se dispensait de prendre son autoradio pour un karaoké. Je serai presque tenté d’aboyer mais je veux lui montrer que même un chien sait contenir ses cordes vocales.

J’ajouterai que les paroles qui sortent de son larynx chevrotant sont navrantes :

Faire une virée à deux
tous les deux sur les chemins
dans ton automobile
tous les deux on sera bien

Ah oui, un vrai bonheur que de partir avec ma patronne.

Nous voilà enfin arrêtés, pour une simple pause je l’espère, même si le point de vue vaut vraiment le coup d’œil. Au-dessus de moi, une chaise en bois, et sur cette chaise ma patronne qui rêvasse devant un café fumant, au café-route de la borne 125, autoroute A10.

La 206 a avalé 100km à peine de bitume qu’il est déjà nécessaire de s’arrêter pour un deuxième petit déjeuner.

Nous voilà repartis dans la voiture, pour enchaîner avec We love to boogie de T-rex. Cette chanson ne me déplait pas totalement car à chaque fois, je crois entendre " We love too Buggy ". Buggy, c’est mon diminutif, disons plutôt un diminutif qui rallonge mais il est vrai qu’on n’a jamais pu me raccourcir davantage.

Mes yeux suivent les allées et venues de l’essuie-glace. Je commence à regretter de l’avoir suivie. Cependant, je ne me rappelle pas avoir eu le choix.

Le point de chute ? Aucune idée…j’ai cru entendre parler de Fresnes mais apparemment, rien à voir avec l’établissement pénitentiaire.

Après 2h30 de route et une nouvelle halte à Cheverny, nous approchons. Je suis comme un peu secoué sur cette route de sable qui longe un étang. Je découvre alors une petite allée très accueillante, bordée de groseilliers et de rosiers. Au bout, un olivier plonge ses racines dans une terre recouverte d’écorces de cacao. Dans quel pays suis-je, où les plantes poussent dans du chocolat ?

Avec ces volets rouges et son charme ancien, la coquette demeure me paraît bien trop accueillante pour être honnête. Je n’aurais pas imaginé la maison d’Hansel et Gretel autrement.
Ma comparaison n’est pas excessive car à mon arrivée, tout le monde me regarde comme si j’allais terminer sur le barbecue. Même les enfants s’intéressent à moi.

Des fenêtres s’échappent des notes de guitare…j’entends une voix désabusée qui chante la médiocrité heureuse et assumée de Djembe Man des Fatals Picard:

Tu grooves autant qu'un formulaire Assedic
A côté de toi André Rieux
C'est comme un suédois qui imite James Brown en mieux

Djembé Man, ha ouais tu joues mal, ha ouais tu joues mal, Djembé Man,
tu joues mal, tu joues mal, et en plus tu joues fort

Enfin un homme qui comprend le calvaire que j’ai subi sur la route.

D’emblée, je reprends du poil de la bête. Dans ce petit paradis, il ne pleut plus des cordes mais des frites faites maison.

Il y a même une piscine où tout le monde plonge allègrement. Elle ne sent pas le chlore mais le sirop de canne et la feuille de menthe.

Les adultes rivalisent d’imagination avec les plus petits et moi je les observe, étendu de tout mon long sur l’herbe, paresseux comme un lézard, heureux comme un loir. Je me sens gai comme un pinson, libre comme l’air et fier comme un coq lorsque les enfants se disputent pour avoir le privilège d’amener la gamelle jusqu’à mes pattes.

Je suis en totale communion avec la faune qui m’entoure, et les poules du terrain voisin paradent sans aucune crainte ; j’ai même l’impression de faire partie des leurs.

Plus ça va, plus je retrouve mon énergie de jeune chiot. Je finis la journée frais comme un gardon, au contraire du chanteur de Djembe Man qui erre avec son fichu jaune, malade comme un chien.

C’est enfin l’heure de la sieste pour tout le monde. J’entends les dernières notes jouées par un autre musicien nostalgique qui n’arrive pas à s’éteindre et qui cherche le sommeil avec un air de Metallica. La guitare finit par s’assoupir et le temps reste suspendu à toutes ces respirations mêlées.

L’irréductible petit bout de chou aux milles catastrophes a lui-même atteint ses limites et se met en veille, dans un sommeil lourd et paisible. Il lâche enfin mon oreille qu’il a prise pour un doudou.

La vie ne reprend ses droits qu’en fin d’après-midi pour un seul impératif : préparer le repas du soir. Ainsi se poursuit ce week-end, où tout le monde travaille à respecter son rythme biologique…

Fatigués, épuisés mais bienheureux.

Certains scientifiques affirment que le bonheur est une question de sérotonine. Un taux de sérotonine trop faible conduit droit à la dépression. D’autres privilégient l’intensité lumineuse et prônent les bienfaits de la luminothérapie.

Ce pourrait être encore une question d’équilibre oscillatoire cellulaire. Dans ce cas, le retour au bien être peut être assuré par l’action des champs électromagnétiques pulsés. Ainsi soigne t’on la tristesse comme l’on soigne les pathologies rhumatismales.

Moi, je ne produis pas de sérotonine. Enfin, je ne crois pas que les chiens en produisent.
Qu’il fasse beau ou mauvais, je suis toujours aussi vif. Et mon cerveau n’a jamais été soumis aux champs électromagnétiques alors qu’en 10 ans de vie agitée, mes cellules ont certainement subi des déséquilibres oscillatoires.

Pourtant, j’arrive à rester de bonne humeur la majeure partie du temps.

Alors quoi ? La joie dépendrait de quoi ? J’en connais quelques-uns qui crieraient à l’unisson " du dosage du Mojito ! ".

Ce n’est pas improbable.

Mais j’ai observé quelques personnalités qui font partie de l’entourage de ma patronne et je crois comprendre que la joie ou la bonne humeur persistante est une question de savoir-faire, peut être même de discipline, la seule discipline à laquelle je veux bien être réceptif.

Ils sont à l’instar de ces grands cuisiniers qui, par leur expérience, vous mijotent des plats succulents à base d’ingrédients de base.

Ce dont je suis certain, c’est que tant que je serai entouré de ces gastronomes de la vie, je n’aurai nul besoin de chimistes ou de radiologues pour rééquilibrer les oscillations des cellules de mon cerveau.

mercredi 21 mai 2008

Tous les chiens ne s'appellent pas Socrate





Le Bassin des Lézards, Château de Versailles


Ils m’énervent tous à dire que je ne me sens plus. Je ne comprends même pas ce qu’ils veulent dire.

C’est vrai qu’habituellement j’adore me renifler en faisant de drôles de bruits, surtout après ma promenade. Ce n’est pas toujours très gracieux mais cela fait partie de mon inspection sanitaire personnelle. J’ai tout de même mes principes sur l’hygiène.

Maintenant, il faut croire que je « ne me sens plus ».

Je reconnais que je n’en ressens plus vraiment le besoin. Je suis drapé de la toge de la sagesse et cette toge me permet de faire écran à toutes les pollutions possibles.

Exit les mauvaises odeurs ! Je n’ai même plus de blessures ni de plaies à colmater.

C’est la magie de la philosophie.

Je ne me sens plus et j’évite de me bagarrer avec les autres chiens. Je suis ouvert sur le monde, m’intéresse aux autres, et ne me laisse plus aller à l’introspection stérile.

Tel Socrate allant à la rencontre de ses concitoyens, je profite de mes sorties pour dispenser ma sagesse auprès de mes congénères.
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Mon premier futur disciple ne s'est pas fait attendre. Je l'ai croisé au hasard de l'une de mes promenades, au bord du bassin des Lézards où je méditais en attendant que ma patronne me trouve enfin.

J’ai senti immédiatement qu’il était en quête spirituelle. Il devançait d’une centaine de mètres son Maître et présentait de vagues signes de nervosité ou de tension cérébrale si vous préférez.

Pauvre âme esseulée, ai-je pensé! Dans son errance, il a au moins le bonheur de croiser mon chemin. Je me suis donc interdit de l'ignorer.

En allant à sa rencontre, j’ai pris un air encourageant et j’ai tenté d’instaurer une certaine complicité en arborant dans ma grande gueule un bâton, non avec cet instinct de propriétaire farouche prêt à tout pour défendre son bien, mais avec humilité et volonté de partage.

Cette frêle silhouette un peu perdue n’a pas esquissé un seul mouvement d’intérêt envers moi.

Je me suis donc planté devant lui, haletant mais déterminé, avec cette autorité naturelle que confère le port de la toge:

- Il s’agit juste de jouer…détend-toi ! N'est-ce pas un endroit merveilleux pour faire connaissance, le bassin des Lézards?
- (…)
- C’est le concept de jeu qui te rebute ou moi, en tant qu’entité canine aux proportions aléatoires ?... On m’appelle Bug, et toi ?...Ton maître a t’il voulu également te définir par un nom ou un surnom destiné à faciliter la reconnaissance de ton individualité parmi les tiens ? Sais-tu qu’avant de songer à penser au pluriel, il faut savoir penser au singulier ? C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que tu ais un nom.
- (…)
- Que penses tu de ça :
Platon a dit que le chien a l’âme d’un philosophe
Tu es l’essence même du chien
Socrate a l’âme d’un philosophe
Tu t’appelles donc Socrate !

- Tous les chiens s’appellent Socrate alors!

Comme dans toute discipline, il peut arriver que l’on se trouve confronté prématurément à ses propres limites.

J’ai tourné et retourné mon syllogisme dans tous les sens, en dissimulant bien évidemment le trouble momentané dans lequel je me trouvais.

Mon pauvre bougre ne bougeait plus, l'échine baissée et l'air suspicieux, comme s’il attendait une réponse à l’énigme dont il était à l’origine probablement sans le vouloir.

- Mon ami, ton raisonnement me plait mais il pêche par sa précipitation. Sache que la spontaneité n'est pas forcément le chemin qui mène à la vérité. Non, tous les chiens ne s’appellent pas Socrate car... mon syllogisme marche aussi avec Descartes, Spinoza, Rousseau ou même Marx. Et toi, quel philosophe es-tu ?

- Plutôt du genre Jean-Claude Vandame.

Mes souvenirs sont encore confus mais il me semble que c'est à ce moment précis que le scénario a sombré dans le schéma classique de la violence banalisée entre chiens. On ne parle pas assez de la violence canine mais il y aurait une étude comportementale très intéressante à faire là-dessus.

Par exemple, les plus craintifs peuvent avoir des réactions d’une violence inouïe et toujours imprévisible. Jean-Claude a manifestement eu peur, mais de quoi ? De Karl Marx ?
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Alertée par les grondements sourds que nous laissions échapper, ma patronne est réapparue pour interrompre notre duel philosophique par son traditionnel cri japonais qui devient de plus en plus performant.

Je n’avais plus de toge en remontant l’allée principale et je me sentais bien démuni, comme livré sans défense à l’incompréhension de mes congénères.

Je ruminais tout seul en direction du bassin de Bacchus car ma patronne était restée sur place à la demande de l'autre Maître pour remplir, à contre-cœur, une déclaration de sinistre (ça se fait de plus en plus souvent entre chiens, on ne peut même plus se bagarrer sans avoir à signer un papier).

Sinistré, voilà ce que j’étais devenu : un philosophe sinistré.

Je veux bien m'exercer à la sagesse, mais si c'est pour finir en sinistre...

Même avec la meilleure volonté possible, je produis des catastrophes. Est-ce à cause de mon nom qui sonne comme une fatalité ? Je voudrais bien comprendre à quel moment exactement je décroche…

Cependant, je ne devais pas être particulièrement effondré ce jour là car, de loin, je savourais discrètement le spectacle de ma patronne en train de négocier, avec conviction, un tort partagé.

Ma propre philosophie me dicte finalement de ne focaliser que sur le bon côté des choses : je vais enfin devenir un véritable sujet de droit, créateur d’un droit à réparation.

Réaliser ses ambitions contre toute attente, ce n'est pas si mal pour un chien qui s'appelle Bug.

Prendre les choses du bon côté: ça me parait une leçon honnête pour aujourd'hui.

Est-ce un hasard si le Bassin de Bacchus succède immédiatement au Bassin des Lézards?



vendredi 16 mai 2008

Quelqu'un m'a dit...






Non ?! Il a vraiment dit ça ?

Arrêtez, vous allez me faire rougir…

Ne vous avisez surtout pas de vous rire de moi ! Si je suis réceptif aux plaisanteries, les moqueries me mettent en revanche de mauvais poils.

Mais enfin, comment est-ce possible ?…Je ne l’ai jamais rencontré! Comment un type de son envergure a t'il pu s’intéresser à moi?

Vous me faîtes tellement plaisir en me rapportant les propos qu’il a tenus à mon sujet que je ne résiste pas à l’envie de vous faire une confidence…J’aime beaucoup ma patronne évidemment…c’est elle qui m’a tout appris comme par exemple, bien se tenir au restaurant, ronger efficacement un os, débusquer les chats et bien s’ébrouer en sortant de l’eau.

Mais… Lui !

Si, de toute ma vie, je ne devais avoir qu’un seul Maître, ce serait Lui.

Qu'il me dise une seule fois : « Au pied ! » et j’accours, oreilles au vent ! S’il le faut, pour lui, je veux bien faire le beau, me rouler par terre. S’il va chercher un Paris-Brest à la boulangerie et qu’il me dit « Pas bougé !», mais je ne bouge même pas d’une oreille et je pourrai rester des heures, des jours entiers à l’attendre ainsi.
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Et surtout, je l’écouterai inlassablement m’expliquer pourquoi selon lui « le chien a l’âme d’un philosophe », s'il a vraiment dit ça.

Dîtes moi seulement où je peux le rencontrer.

mardi 13 mai 2008

Ce que je vois de mon balcon




Le Balcon,

Manet, 1869




Oeuvre découverte accidentellement en mai 2008 lors de fouilles dans la salle d'attente d'un cabinet dentaire (Revue Arts magasine de mai 2008 -la chronique de Moujon)

Toutes mes excuses pour la crudité de ce tableau que j'exhibe sans complexe sous vos regards offensés. Je ne veux pas choquer les âmes sensibles ni ne cherche le racolage facile, soyez en assuré.

Cette oeuvre a, parait-il, fait scandale en 1869 mais les premiers spectateurs ont survécu. J'espère que vous surmonterez, vous aussi, cette épreuve.

Sachez tout d'abord que vous n'êtes pas contraints de regarder ce tableau ni surtout de vous laisser aspirer par son vide vertigineux.

Mieux vaut se délecter des couleurs flamboyantes qui se répandent par exemple sur un champ de bataille imaginé par Delacroix, où le chaos est plus tolérable car il y est décrit de façon anecdotique ou légendaire mais surtout avec passion.

Une question me vient: pourquoi associe t'on systématiquement le chaos à la confusion des mouvements, au déséquilibre des formes, à la rupture d'un ordre établi? La confusion ne peut-elle pas être silencieuse, discrète et insoupçonnable?

Ce tableau de Manet n'est-il pas remarquablement ordonné? Tout est à sa place, immuable et figé, jusqu'à ce chien, ridicule, qui sort des jupons de sa maîtresse.

On dirait un King Charles ou plutôt, selon mes recherches, un épagneul japonais, que l'on peut décrire comme « un petit chien vif, d'aspect délicat, à la démarche très distinguée levant haut le pied » (*) mais totalement dépourvu de caractère. Bref, le genre de mignons, ancien favoris des Cours royales.
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Il me fait penser à ce genre de cabot qui vous gratifie d'un petit râle hystérique parce que vous avez eu le malheur de lui renifler l'arrière train par simple réflexe convivial. Susceptible et grande gueule, mais dans le fond... sensible à rien d'autre qu'à lui-même.

En principe, la présence d'un chien était censée souligner l'intimité d'un foyer, sa tranquillité et sa constance. Le chien est l’image même de la stabilité, et représente donc le contraire du chaos, même si ma patronne trouverait sûrement à y redire.

Mais là, je cherche en vain la valeur ajoutée de ce paltoquet à poils longs. L'intérêt pictural est nul, l'intention de l'auteur incompréhensible.

Le cache pot en porcelaine lui vole sans peine la vedette.

C'est bien simple, je crois que c'est la première fois que je vois des personnages peints comme une nature morte. On peut dissocier chacun des éléments car il n'y a aucune correspondance réelle entre eux.
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Le chien est en effet accompagné de trois momies, deux femmes et un homme ou l'inverse, peu importe; ils sont tous les trois vidés de leur substance. Ils n'existent que par l'épaisseur de leur parure. Je suis sûr qu'il ne se dégage d'eux aucune odeur particulière sinon celle de leur taffetas précieux.

La nudité de leurs regards vides de sens est dérangeante et presque méprisante pour le spectateur.

Il semble que ce tableau ait été perçu à l'époque comme un bras d'honneur car il ne fait passer aucun message et qu'il bride l'imagination. J'ai peine à m'imaginer qu'un artiste aussi illustre que Manet ait pu travailler des jours entiers sur le clair/obscur, sur la parfaite proportion des formes, sur le détail infini de la porcelaine et du tissu pour au final...ne rien faire apparaître.

Bien plus curieux, l’artiste s'est appliqué à rendre transparentes des personnalités pourtant hautes en couleur (deux artistes peintres et une violoniste).

Aucune émotion n'est décelable, pas même un début d'expression qui aurait pu émouvoir le peintre ou le spectateur.

Et moi, devant ce tableau, je ne suis plus le chien fou et débordant d'énergie que l'on connaît. Je deviens, par contagion, ce chien sur le balcon: je ne pense plus à rien, je ne suis plus que matière intégrée au décor.

Un peintre de la période romantique nous plonge brutalement dans l'absurde, le détachement, l'indifférence, sans ostentation mais avec une clairvoyance qui n'en est que plus redoutable.

Son insolence me plaît: respectant la facture habituelle de ses tableaux, choisissant un thème inoffensif, il ne prend en apparence aucun risque.

Et pourtant, j’apprends que l'oeuvre est subversive et qu’elle a suscité l'indignation générale, sous de faux prétextes esthétiques.

Représenter la barbarie de la guerre, peindre le sang versé dans la ferveur patriotique, reproduire dans les moindres détails des corps décharnés, torturés par d'autres corps, reste politiquement et esthétiquement correct, voire admirable. Cela semble avoir un sens car l'artiste en appelle à un certain sentiment de grandeur et d'honneur.

Mais le néant est évoqué dans ce tableau sans motivation réelle, sans même que la mort ne soit clairement représentée. Ainsi, le spectateur du second empire, gonflé de ses certitudes et ses préjugés, se trouve brutalement projeté en pleine névrose moderne.

Rien de plus banal dans la peinture romantique et réaliste que de voir des corps se vider de leur sang puisque c'est le prix de toute conquête, mais commencer à comprendre que l'humanité se vide de son sens est intolérable pour le bourgeois qui considère avoir accédé à la pleine réussite.

Tous réunis, tous comblés, mais à ne pas savoir où et quoi regarder...comme ces personnages sur le tableau.

Les questions d'actualité et de société se compliquent considérablement. Il devient de plus en plus difficile d'en saisir le sens profond et d'en cerner les implications réelles.

S'obliger à prendre position est t'il une preuve de courage et d'attitude responsable ou au contraire d'absence de discernement?

Plus j'y pense, plus le doute me paraît se détacher de toute connotation péjorative pour devenir au contraire libérateur.

Dans ce tableau finalement dense, quatre êtres fixent chacun un point différent mais lequel de ces points mérite réellement attention? Peut être celui du chien...Bizarrement, il me semble que c'est le plus insistant.

A coup sûr, l'animal focalise sur un chat ou sur un insecte. Il perçoit clairement quelque chose de son environnement proche et immédiat, sur lequel il pourrait directement agir. Au contraire, les trois individus, diaphanes, sont présents sans l'être, ni particulièrement attentifs, ni particulièrement songeurs.

Manet ne se prend pas pour Stephen King en peignant des zombies mais essaie de rendre palpable une inquiétude bien présente.

Ces personnages, ce pourrait être nos voisins dans le métro, ou nous-mêmes, lorsqu'il vaut mieux afficher un visage fermé pour ne pas paraître insistants ou indiscrets. On nous impose la promiscuité physique, on se rend donc hermétique par pur réflexe d'autoprotection.

La seule évolution que je note entre ces bourgeois à leur fenêtre et une famille d'aujourd'hui, c'est l'apparition du tube cathodique et de la "toile" numérique, qui sont devenus notre fenêtre sur le monde. Notre regard en est-il plus éclairé? Les images et les sons se sont sûrement multipliés mais ils favorisent davantage la dispersion de la réflexion, l'éclatement des repères.

Pourquoi ce tableau a t'il fait scandale en 1869, plus qu'une autre oeuvre? Peut être en dit-il trop sur la condition humaine, justement parce qu'il ne raconte plus rien.

Et pourtant, il aurait pu provoquer une réaction saine, un réveil de la conscience, le sursaut salvateur d'un individu qui découvrirait enfin, devant son miroir, le résultat de son laisser aller.

Le spectateur préfère s'ébahir devant la violence esthétique d'un tableau (ou aujourd'hui d'un film), mais refuse encore de s'émouvoir devant l'indifférence d'un regard qui s'habitue à tout.

J'ai eu tort de me moquer d'un congénère vieux de près d'un siècle et demi. Aurais-je eu l’air plus malin sur ce balcon ?

Ce petit roquet a encore du répondant, même emprisonné dans une toile faussement désuète.

Lui et ses maîtres se rient sûrement un peu de moi et de mon assurance.

Que puis-je voir de plus, de mon balcon?


(*) Encyclopédie du chien, John Mandeville, éditions CIL

lundi 21 avril 2008

Complice ou repentie?


Les fondations,
1950

Mon épais pelage ne m'aura pas protégé longtemps contre les ronces vivaces et farouches. Des fils invisibles et coupants freinent ma progression dans cette végétation abandonnée.

Et pourtant, je ne viole aucun sanctuaire, si ce n'est celui de l'enfance.

Peu importe. Je n'ai peur de rien, ni même de la nostalgie que l'on croit si douce.

J'arrive enfin sur les dalles en pierre, grignotées par les pissenlits.

Le laurier embaume toujours autant. Pris d'une euphorie soudaine, je me roule sur un carré d'herbe jaunie d'où je contemple, à la renverse, le pommier du Japon.

Un bourdon me taquine le museau.

Je crois voir un volant de badminton fendre l'air. Un avion me survole, comme il l'a toujours fait au-dessus de ce jardin. Avant, l'on voyait même le concorde. Les nuques des enfants se tordaient pour ne pas perdre une miette de ce spectacle majestueux.

Je l'entends s'agiter à l'intérieur, à essayer d'ouvrir un tiroir en bois qui résiste, gonflé par le temps, figé par l'oubli.

Elle revient, victorieuse, avec un paquet de cigarettes à moitié moisies - la pleine satisfaction d'un ancien interdit transgressé-

Je n'ai pas de passion particulière pour le tabac. Une fois, juste avant de déclencher une bagarre avec Spartacus, j'ai mâchouillé devant lui un mégot de cigarette, par pure provocation.

J'en garde un souvenir mitigé. C'est très difficile d'impressionner Spartacus. Son maître se plaît à raconter qu'on a déjà trouvé dans ses déchets intestinaux une paire de chaussettes et une languette de chaussure. Il est vrai qu'en comparaison, un mégot de cigarette ne pèse pas bien lourd.

C'est bien un avantage chez les chiens que de pouvoir laisser choir au coin d'une rue ou au pied d'un arbre les noeuds qui pèsent anormalement sur l'estomac (je n'ai jamais prétendu être poète). Chez les humains, le processus d'assimilation me semble beaucoup plus complexe.

Mais j'ai le sentiment de m'être légèrement éloigné de mes pensées premières.

Le soleil est revenu. On est tellement mieux dehors, à chauffer sa couenne et surtout à ignorer le crissement des meubles qui traînent lamentablement sur le parquet, résistant de tout leur poids à l'expulsion.

Elle préfère ne rien voir, ne rien entendre mais cela ne change rien: en droit, cela signifie être complice par instigation.

Complice de quoi? Sans doute de ne pas être à la hauteur des attentes des anciens, voire même de saboter les efforts de toute une vie.

On a déjà si peu de temps pour réaliser ses propres ambitions... Qu'auraient-ils pu faire de cette maison déjà à moitié dévastée? Un maillon précieux de la chaîne des générations a sauté trop vite. L'abandon prématuré de ce lieu est là pour le rappeler.

Les parents ne devraient rien construire pour leurs enfants, ne nourrir aucun projet pour eux.

Voici une bien étrange façon de les remercier. Pour un peu, on les rendrait coupables de ce bonheur passé au goût de gelée de groseilles, on leur en voudrait de nous avoir laissé butiner ce pied de cassis et de nous avoir livré ce grand cerisier qui apparemment ne s'en est jamais remis. Ses branches ont l'air aujourd'hui si tristes et fatiguées. Le bois s'effrite. Il est creux, comme rongé de l'intérieur.

Et pourtant, la maison est toujours aussi belle. Dans ses entrailles, elle renferme encore ces odeurs mêlées de roses et de bois coupé. Sur le petit tableau noir, à côté du sécateur, une inscription à la craie n'a jamais été effacée. Qui osera effacer ces mots? Personne n'en prendra la peine...ils faut croire que les mots nous survivent, qu'on leur accorde de l'importance ou pas du tout.

Qu'il est facile de regarder tout ça avec une infinie tristesse!

Qui suis-je, moi, petit basset insignifiant, pour me répandre ainsi et verser dans les états d'âme d'une enfance que je n'ai jamais connue et que je m'empresse d'idéaliser? Eh bien, je suis un chien qui suit sa patronne, jusque dans ses doutes.

Je suis doué d'une empathie exceptionnelle. Ce qui se passe dans le coeur des hommes, je le comprends plus que quiconque.

Si je me couche à ses pieds, silencieux et soupirant, c'est que j'ai une bonne raison de le faire.

Je suis un drôle de cabot qui attend que tristesse se passe car j'ai bien compris que même la nostalgie est un sentiment éphémère.

L'essentiel, c'est d'avoir toujours de l'énergie et des rêves à revendre. Mais là, on va dire que je radote. Et alors? C’est le privilège de l'âge, non? J'ai quand même 10 ans (*)!
(*): 10 ans = trois générations canines

lundi 7 avril 2008

Petit, je craignais de changer de dimension

Matinée du 7 avril, promenade enneigée,
dans une autre dimension

Il existe une autre dimension, par delà celle des hommes. Une dimension aussi vaste que l'univers et aussi intemporelle que l'infini. Elle s'étend aux frontières de l'ombre et de la lumière, de la science et de la superstition, elle transcende toutes nos peurs et dépasse toutes nos connaissances.

Et nous voilà repartis pour un aller simple! Titititi titititi titititi titititi PAMPAM!

Pourquoi faut-il qu'il pleuve...Pourquoi faut-il qu'elle meuble ce sombre après-midi à visualiser l'intégralité de la Saison 1? Une série vieille d'un demi siècle!

Cette musique finit par me mettre à crocs.

A 17h00, chez Madame Josette, nous ne partions pas aux confins des ténèbres. A cette heure là, nous avions le bon goût de prendre le thé.

Je deviens vaguement nostalgique.

Apprêtez-vous à entrer dans une nouvelle dimension qui ne se conçoit pas en terme d'espace mais où les portes entrebâillées du temps peuvent se refermer sur vous à tout jamais.


Mais qu'elles se referment une fois pour toutes, nom d'un chat! Je n'ai jamais autant aspiré au repos. Titititi titititi titititi titititi PAMPAM!

Je vois bien que même le chat a les yeux révulsés.

Je vous présente James W Corry.

Son univers: une cabane et une vieille voiture rafistolée qui ne peut l'emmener nulle part parce qu'il ne peut aller nulle part.

Pour votre information, James W Corry est un criminel en train de purger sa peine. Il devra passer l'intégralité de sa détention sur cette planète isolée, véritable prison à ciel ouvert, à 9 millions de km de la terre.

Vous avez devant vous un homme confronté aux rigueurs du soleil et du froid...Un homme qui se meurt de solitude.

Là, je commence à me sentir mal à l'aise: Il n'a même pas un drôle de chien-chien pour lui tenir compagnie?

J'ose à peine regarder ces images sinistres car la solitude ou la simple évocation de la solitude m'est rigoureusement contre indiquée. Le vétérinaire l'a bien dit: je fais de l'anxiété de détachement.

C'est comme une sorte d'allergie.

Rien que de voir ce bougre en train de faire une partie d'échec contre lui-même, j'ai des bouffées de chaleur et surtout, une irrépressible envie de réduire en miette la garniture du canapé (c'est un symptôme habituel pour les chiens souffrant d'anxiété de détachement)

Le premier tableau de chaque épisode présente le plus souvent une scène d'une singulière banalité et l'atmosphère n'en est que plus inquiétante.

Le sentiment d'isolement est encore plus effroyable lorsque l'individu s'obstine à l'ignorer, ou lorsqu'un triste pantin se trouve à évoluer dans la foule, une foule mobile, toujours affairée à ses activités quotidiennes.

Pourtant, cette foule ne vous paraît pas froide et insensible; Elle est même souvent humaine et pleine de bonne volonté.

Simplement, un être va lui échapper totalement.

Elle n'en a pas conscience et n'en aura jamais conscience, contrairement au protagoniste principal.

C'est bien le ressenti de ce décalage qui est insupportable, d'autant plus insupportable qu'il ne conduit pas à la folie: la victime aura jusqu'à la fin conscience d'avoir été projetée, de façon irréversible, dans un univers fait de solitude et de néant, un univers que côtoie notre quotidien sans ne jamais le rencontrer.

Ce voyageur solitaire finira par avoir le sentiment de n'avoir jamais existé.

L'enfer de l'isolement, qui renvoie à la négation de l'existence, n'épargnera pas non plus ce passionné de lecture qui n'aspirait paradoxalement qu'à une profonde solitude.

Ce personnage se réjouit d'être le seul survivant de la bombe atomique car celle-ci a épargné également une multitude d'ouvrages que la bibliothèque nationale, sinistrée, a recrachés.

Un autre miracle: toutes les provisions alimentaires sont restées intactes.

Et bien mieux encore: dans ce paysage de ruines, un canapé lui tend les bras.

Mais à peine a t'il le temps de prendre conscience de la réalisation de son fantasme, qu'un drame plus terrifiant que la destruction de la planète survient...

Que va t'il advenir d'un myope qui vient d'écraser bêtement ses lunettes, dans une situation aussi extrême?

On n'a même pas envie de sourire.

La leçon personnelle que j'en tire est qu'un homme privé de sa créativité et de ses rêves est un homme qui subit un sort bien plus redoutable que la mort. C'est un homme condamné à ne vivre qu'à travers les besoins que crée pour lui la société et qui n'est pas armé pour affronter la solitude, recherchée ou non.

Cette série télévisée semble faire de la solitude des hommes une tragédie pas seulement quadridimensionnelle car ces drames silencieux surviennent dans un monde qui nous est très familier. La fiction n'est qu'un simple prétexte, le but inavoué étant de chercher à sonder l'âme humaine, décidément bien ténébreuse, dont le destin ultime semble être de combattre, seule, ses démons. L'homme n'aura d'autres choix que de se trouver, un jour ou l'autre, face à lui-même.

Je me demande si notre agitation souvent fébrile ne vise pas inconsciemment à retarder ce moment, au risque de tomber dans une logique inverse: l'excès de travail et de comportements consuméristes pourraient très bien au contraire endormir et fragiliser les esprits, les laissant encore plus démunis face à l'inconnu.

Lorsqu'elle laisse son esprit vagabonder en pleine journée de travail, ma patronne n'a pas du tout le sentiment d'être improductive: bien au contraire, elle apprivoise autant que possible le néant, et veille ainsi à ne pas sombrer dans la quatrième dimension.

Toute cette démonstration pour en venir à justifier ses périodes d'inertie...c'est un peu tiré par la laisse, enfin je veux dire un peu forcé comme raisonnement...
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Le sixième épisode vient de débuter: Je sais ce qu'il vous faut. Un vieux marchand sympathique et bienveillant vend ce qu'il vous faut. Disons surtout qu'il devine ce qu'il vous faut, mais déjà je retiens mon souffle...je suis redevenu le jeune chiot qui commence à comprendre qu'à l'âge adulte, on ne maîtrise pas plus l'univers.

Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d'esprit; un voyage dans une contrée dont les frontières sont notre imagination, un voyage au bout des ténèbres où il n'y a qu'une seule destination: la quatrième dimension.

jeudi 27 mars 2008

Dans la jungle, terrible jungle de KARUKERA



Madame Josette, la voisine, vient de me servir un reste de ragoût. L'estomac bien rempli, il ne me reste plus qu'à attendre l'heure de la promenade. Cela fait déjà 9 jours que nous avons pris nos habitudes tous les deux et ce nouveau rythme me convient parfaitement, à tel point que je deviens très docile et obéissant.

C'est une après midi pluvieuse et j'aime à entendre la pluie battre les pavés, sur fond d'odeurs de tartines grillées.

Mais, aujourd'hui, au lieu de dormir profondément comme à mon habitude, je plonge dans un demi-sommeil que vient troubler le tintement léger d'une cuillère sur la porcelaine fine d'une tasse de thé.

Ce son hypnotique devient clapotement puis cliquetis plus violent, comme celui du foc frappant le mat d'un bateau exposé au vent.

Je me retrouve curieusement à flotter au dessus d'un voilier.

Perdant tout contrôle, je subis une soudaine accélération de mon rythme cardiaque, mon corps se préparant à un drôle d'envol. Je passe de 6000 à 27000 pieds et toute cette puissance me permet de percer en un éclair les nuages noirs et épais, chargés d'humidité, qui stagnent au dessus de mes oreilles.

C'est alors qu'incrédule, je me surprends en train de survoler un immense miroir bleu argenté. Ma vitesse de croisière est de 900km/h au sol.
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Si c'est encore un rêve tordu, il faut au moins lui reconnaître sa remarquable précision.

Au bout de quelques heures, mon esprit engourdi par la magie de ce voyage onirique, se met à la recherche d'une escale. Je me permets cependant d'hésiter entre l'Océan Atlantique et la Mer des Caraïbes.

Entre les deux, ce que je crois être au loin une simple éclaboussure de terre devient, au fur et à mesure de mon approche, un diamant d'un vert intense et lumineux.

De quelle divinité cette gigantesque émeraude peut t'elle bien orner le front?

La beauté ne peut être le fruit du hasard et a nécessairement une vocation... Ou alors, elle échappe à mon entendement.

A peine posé, j'explore les facettes de ce joyau dont la pureté n'a d'égal que sa perversité. Un couloir végétal d'une hauteur impressionnante se dresse devant moi, me conduisant à une cascade trop paradisiaque pour être bien attentionnée. Je succombe au plaisir d'une baignade dans les eaux tièdes mais très vite les rochers glissants me réservent de bien mauvais tours et m'entraînent dans un plongeon forcé alors même que j'étais volontaire.

De faux pas en faux pas, je m'extrais, haletant, de la forêt tropicale et prend la décision de n'enfoncer les pattes que dans le sable fin des lagons dociles et photogéniques. Les Portes de l'Enfer... quel drôle de nom pour ce que j'imaginais être un solarium naturel... Bien trop confiant, je manque de me faire aspirer par le trou de Madame Coco, triste légende qui n'a rien à voir avec une farce graveleuse.

Je m'engage alors définitivement sur la terre ferme et m'achemine, sous un soleil sans ombre, jusqu'à la Pointe de la Tortue d'où je peux découvrir l'activité assourdissante des souffleurs.

La mer déchaînée s'immisce dans les cavités calcaires et, sous l'effet de la pression, se trouve propulsée au dessus de la roche pour former un véritable geyser. Je me prends en retour les embruns en pleine face. Mes coussinets brûlent sur les cristaux de sels qui se sont formés jour après jour.

Exclu de la forêt tropicale tel un corps étranger, menacé d'être englouti par les vagues qui me poursuivent jusqu'à percer la croûte terrestre, je n'ai d'autres choix pour trouver le salut que de gravir les montagnes de Basse Terre. En altitude, je serai enfin hors d'atteinte.

La Souffrière n'est pas si haute et ne réserve pas de surprise particulière: elle est égale à elle-même, c'est à dire sulfureuse mais loyale car elle signale, par ses fumerolles, les endroits où il vaut mieux s'abstenir de poser les pattes. La végétation alentours n'est que cendre.

Je rebrousse chemin mais soudain, il me semble entendre comme une bête aux abois, ou plutôt le cri d'un oiseau moqueur. Ce piaillement m'est familier et annonce un choeur entier de cris de ralliement. Je distingue parmi eux le rire de ma patronne.

Je les découvre, voûtés sous leur cape de pluie, travaillant à se répartir les victuailles. Je cours dans leur direction mais j'ai la sensation que mes pattes moulinent dans le vide.

Mes babines tressautent encore sous l'effet de l'odeur du poisson fumé lorsque que mes yeux s'ouvrent peu à peu sur la réalité. Je crois reconnaitre dans l'entrebaîllement de la porte ma patronne qui cause avec Madame Josette.

Emergeant à peine de mes songes étranges, je doute un court instant de son identité. Sa peau est tannée par le soleil et sa chevelure est épaissie par l'air marin, presque crépue.

Alors qu'elle se dirige vers moi, j'observe que sa silhouette est plus robuste, et sa démarche très chaloupée.

Je n'ose pas la saluer. Elle s'amuse à prendre ma réserve pour de la bouderie.

Telle une matrone, elle plante ses mains sur ses hanches en basculant le bassin vers l'avant.

- ça ka maché, Chien la?

Puis, se tournant mollement vers Madame Josette:

- Et ben...I conten chien la. Bien mangé et tou gro. Ou tro geinti, Madam Josette. Mèci!... Ou ni l'her fatigué! Man man ou kaille bien?

- Moin désolé mi moin pa ka pale créol...

- Tan pi! ça pa ni impôtence! Moin pa bava. Ki l'hè i yé? Ouh là là! Il di cink hè di minutt! Moin crazé et la pli ka tombé! ÇA fouett pa ici! Mèci pou chien la! Bonsouê!

Ma patronne est revenue de son baptême créole et apparemment, elle tient à le faire savoir.

Il y a ce côté exaspérant chez elle que lorsqu'elle est emballée par un voyage, elle ne sait pas quoi inventer pour en prolonger le plaisir.
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L'appartement est rempli d'odeur d'épices en tous genres. Je sens que mon prochain rêve se fera dans une ambiance zouk.

Ne la contrariez pas trop dans ses fantaisies, vous gagnerez même à abonder dans son sens, car ce sera alors « Punch pou tout'moune »!

Cependant, elle aura beau avoir le sang gorgé de rhum citron, elle ne parviendra qu'à faire fuire les moustiques mais certainement pas à reproduire la douceur de vivre en bords de mer.


mardi 11 mars 2008

Intermède


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A trop vouloir s’ouvrir, il s’est tordu
Je me prends un vent par mon parapluie
Telle une corolle vers le ciel tendue
De l’eau des nuages gris il s’emplit

D’un coup sec je le rappelle au devoir
Mais mon caban aussi s’est retourné
Sur mon visage le col s’est plaqué
A tâtons, je progresse dans le noir

Il m’énerve ce môme à se moquer
Qu’il surveille donc sa belle casquette
Gonflée par le vent, elle veut tournoyer
Entrer dans la valse des pétales en fête

Le printemps se joue déjà de l’hiver
Mais c'est encore un petit joueur
Je le devancerai bien d'une longueur
Rien qu’en traversant cinq fuseaux horaires

mercredi 27 février 2008

Le Dilemne de Mister PATATE


J’ai viré Bug.

Pour une question de chiffre, bien évidemment. Son audience s’essoufflait et il ne remplissait plus son quota de catastrophes matinales. Je reprends donc la gouvernance de ce blog mais j’ai bien conscience que toute acte d'autorité induit des décisions radicales et douloureuses.

Oh bien sûr, il présentait l'avantage de n’avoir aucune exigence financière, se contentant de me réclamer deux fois par jour ses croquettes (Royal Canin, tout de même). Cependant, même la gratuité finit par coûter cher, surtout quand elle ne fournit plus de résultat.

J’ai donc investi dans l’innovation et l’audace afin d’accrocher davantage le lecteur.

Vous avez noté le changement de style?

Un vent de fraîcheur vient enfin de souffler sur mon interface.

Il m'a fallu recourir à des trésors d'ingéniosité pour faire la nique à tous ces nouveaux blogs qui ne demandent qu'à se laisser envahir par des graphismes toujours plus percutants et déjantés.

Mais la concurrence ne me fait pas peur. Bien au contraire, je pense qu'elle est un véritable facteur de progrès et cette réjouissante figure en est l'illustration la plus convaincante.

Je vous présente donc Mister PATATE, le nouveau visage de mon blog, qui atteindra bientôt, je l'espère, la notoriété des Mangas.

Je ne vous cache qu'il m'aura fallu bousculer bon nombre de mes repères esthétiques et mettre à mal mes préjugés pour oser vous présenter ma dernière trouvaille que j'ai mûri en silence, dans le secret d'un huis clos. Mais un créateur doit savoir se mettre en danger et enfanter dans la souffrance.

Mon engouement récent pour Mister PATATE est né, je dois bien l'avouer, d'une frustration trop prévisible, celle provoquée par ce douloureux sentiment de sentir l'inspiration se tarir.

Grâce à cette nouvelle figure emblématique du progrès informatique (issu du révolutionnaire Eee PC Asus), je peux surfer sur une infinité de combinaisons, choisir parmi une dizaine de paire de yeux, que je peux assortir avec des nez et des moustaches de styles très différents, pour multiplier les expressions et réinventer chaque jour mon personnage virtuel.

Les jaloux saisiront cette occasion pour fustiger encore les progrès technologiques et faire de Mister PATATE une nouvelle preuve de l'inanité de la technologie, qui ne serait destinée qu'à mener les populations au crétinisme le plus abouti mais je les mets au défi, ces ronchons sceptiques, de réussir à harmoniser la moustache rousse avec le sourire en biais, sans même recourir au nez en forme de poire.

Ils comprendront alors que ce logiciel est loin d'être aussi puéril qu'ils le prétendent.

La complexité et le génie se nichent dans les jeux les plus innocents.

Définitivement séduite, je vois encore deux motifs supplémentaires de recourir à cet outil de travail stimulant et novateur:

- Amélioration de l'acuité visuelle, par l'exercice d'une gymnastique oculaire pour une adaptation maximale à l'écran 7 pouces.
- Prévention efficace contre l'arthrose des phalanges, à force de formater ses mains à la taille du clavier et se garantir au final la dextérité des mimines d’un enfant de 6 ans.

Enfin, ce véritable traitement anti-âge est accessible à tous, pour peu que les nerfs n'aient pas déjà été éprouvés dans la journée.

Je trouve même l'inconfort anachronique de mon nouvel ordinateur assez émouvante.

La technologie subirait-elle la malédiction des phénomènes de modes: à force de saturation, en serait-elle réduite à stagner ou à régresser? Après l'hyper technologie, renoncerait-on au bluff des machines multifonctionnelles et ultra puissantes pour retrouver les charmes discrets du minimalisme.

Progrès. Regrets. Ces mots pourraient bien avoir la même racine latine, le changement de préfixe traduisant simplement l’hésitation entre l’optimisme et le recul face à la progression.

Plus les possibilités et les choix se diversifient, plus il est tentant d’accéder à un certain dénuement ou de s'imposer un retour à un mode de vie épuré, et de snober ainsi la technologie actuelle et son offre permanente de prestations de services.

Et cette interrogation en soulève une autre: l'accès illimité à la connaissance ne conduirait-il pas, tout autant que l’excès de technologie, à un phénomène de rejet?

La facilité finit sûrement par ennuyer. Seul le secret mobilise. Il suffit qu'un Chef d’Etat démente l'existence d'un texto d’adolescent maladroit pour faire réagir l'ensemble des médias et justifier la saisine d'un juge d'instruction.

Si j'étais ministre de la culture, je créerais des maisons closes de la connaissance avec ses codes et ses entrées privées, juste pour titiller les foules et exacerber les curiosités.

Je mettrais tout sous clef, les philosophes des Lumières, les romans de Stendhal, les peintures de Gauguin, les travaux de Michel Ange, les partitions de Mozart, les paroles de Brassens, la recette du kouign aman, tout ce qui fait la richesse de l'humanité, culturelle ou calorique, jusqu'à provoquer un soulèvement général, jusqu'à entendre des millions de manifestants crier à l'injustice, jusqu'à les voir prendre les armes pour reconquérir ce dont on les a privés injustement et revendiquer la pleine propriété de leur patrimoine culturel.

J'en viens à me demander si la menace et l'injustice, ou plutôt le sentiment d'injustice, ne sont pas les ressorts principaux du progrès humain.

Et pour l'instant, il faut croire que je vis dans la plus parfaite insouciance, loin du danger et des menaces, puisque je mobilise mon intellect à habiller une patate. Je devrais m'en réjouir.

Néanmoins, l’âme humaine est suffisamment complexe pour aimer à se sentir parfois menacée.

Je dois bien admettre que Bug incarnait jusqu’ici, à la perfection, cette notion de péril latent. Ma calamité mériterait de reprendre du service. Mais je dois en parler d’abord à son avocat. Et oui… cette canaille n’a pas perdu de temps…

vendredi 8 février 2008

Mon fabuleux destin


L’histoire, elle commence toujours bêtement avec moi. C’était un 10 avril 2003…
Euh, non… ça fait un peu redite.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’histoire de mon ascension fulgurante, moi, ingrat petit basset, misérable orphelin honni de sa famille d’accueil et recueilli dans les refuges de la SPA…

Aïe, faut-il absolument que je la connaisse, cette angoisse de la page blanche ! Mais comment parvenir à retracer mon extraordinaire destin, comment témoigner et transmettre aux jeunes générations le goût de l’effort et leur inculquer cette farouche volonté d’y arriver?

Nous sommes un 10 avril 2003, un sombre après-midi.

Vingt trois congénères partagent ma ratière, dressée à l’extérieur, en pleine forêt de Plaisir.

Il pleut des cordes et je continue à m’embourber dans la glaise. Cette lanscaille me pèse. Elle fait de la terre une mélasse que j’ai peine à balancer. Faut pourtant que j’avance ma percée sous le grillage.

Le ciel est bas. Je profite des hurlements et de l’agitation des autres taulards pour taquiner le terrain.

Je me sens les quilles en marmelade mais je m’acharne. J’sais pas ce que c’est que d’avoir du sang de navet.

Pourtant, la maison est régulière. Elle mérite pas que je lui fasse le coup de la fille de l’air. Je copine avec tous les gonzes. Je suis entouré d’écorchés vifs, de chiens humiliés, de bêtes détraquées ou mélancoliques, de drôles de foireux et de vilains traqueurs. Y a même un Loulou de Poméranie.

On a subi suffisamment de morsures dans notre vie de pouilleux pour ne pas être tentés de se dégommer, dans notre abri crapoteux.

J’sais bien que les loufiots de la SPA ont une bonne bouille et que la graille est correcte. En plus, je suis bien soigné.

Je continue pourtant à faire mon trou, uniquement pour ne pas me barrer en brioche. J’ suis pas du genre à m’endormir sur le rôti.

On reste des taulards et on doit se comporter comme tels. Si on me fait bouffer de la taule, c’est pour que j’apprenne à m’arracher. Pour déboucler un coffiot, faut déjà qu’il soit bouclé, non ? Pour goûter aux joies de la cavale, fallait bien que je connaisse le mitard.

Mes cops s’énervent et sont divisés sur mes projets. Ça jacte dans tous les sens. Qui va suivre ? Qui va moucharder ? L’angoisse d’une nouvelle solitude étreint les froussards. Les paranos soupçonnent un coup d’arnac. Les bulleurs finissent s’impatienter « On jaffe quand dans c’te tôle ?»

Je continue à me défoncer, les pattes dans la gadouille, pour ne pas terminer fêlé. J’ sais bien qu’à la fin, ils finiront tous par ramener leur barbaque. Faut bien sauver ses côtelettes.

Soudain, les aboiements s’interrompent. Ça sent la dirlo. Elle se tient devant nous, la rombière, scrutant l’intérieur de la cellule. Nous sommes à ciel découvert mais il est couvert, justement, le ciel. Il fait glauque. C’est ma veine. Ce n’est pas le moment de se faire serrer.

Je distingue deux silhouettes aux côtés de la mégère, l’une grande et carrée, l’autre petite et frêle.

Tous les ratiers, sans exception, se jettent aveuglément sur le grillage et rivalisent de pirouettes. C’est un réflexe de survie qu’ils ont acquis au bout de quelques semaines: emballer le badaud pour gagner sa confiance et sa protection.

Pendant qu’ils se croient tous à la Star Ac et qu’ils balancent leur numéro, je couvre au mieux mon pauvre ouvrage et je me fonds dans le décor.

La gringalette me grille et elle me fixe maintenant en riboulant des calots.

Il faut que je donne le change, immédiatement…

Un seul réflexe me vient : je m’assieds et je baille.

Je suis marron… y a un truc qui la turlupine : “ C’est normal, qu’il ait les pattes retournées, ce chien ? ” J’essaie discrètement de faire converger mes orteils “ - Vous parlez de Stroumph ? Oui, oui, c’est sûrement ce qu’il y a de plus normal chez lui... ” “ - Il a l’air calme en tout cas par rapport aux autres, c’est ce qui compte…c’est pour mon père qui est âgé ; je veux juste un chien facile à vivre, pas un hyperactif”.

Le drôle de zig, à ses côtés, a l’air méfiant : “ En réalité, on vient juste pour voir, on ne ramènera pas de chien aujourd’hui et ce d’autant que le futur maître n’est pas encore au courant ” « -… » “ -Il aboie ? ” “ Oh non ! vous savez c’est un chien tranquille ; un vrai tire-au-flanc. Mais vous êtes sûre que votre père veut un chien ? ” “ – oui, il aime bien les bêtes. », le frangin : « - ce qu’il aime moins, ce sont les surprises… ”

Voilà comment je me suis trouvé dans la tire du grand mec, sur fond d’engueulades.

Apparemment, ça ne le réjouissait pas d’être complice malgré lui de ce traquenard. C’était vraiment une écervelée, elle se conduisait comme ces irresponsables qui craquent pour un pôv clebs et le balancent ensuite sur le bitume, à la première occasion.

De son côté, elle prônait les bienfaits insoupçonnés qu’un drôle de cabot pouvait apporter à un être démotivé, usé. Elle parlait comme ces jaspineurs de baveux ou de politicards. Et déjà, ça commençait à déteindre sur moi.

Bref, j’ai tout de suite saisi la mission dont j’allais être investi: accompagner un être humain dans son apprentissage de la solitude. Je n’étais donc pas un chien de compagnie mais un “ chien d’accompagnement ”, ce qui induisait un rôle beaucoup plus actif et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait. Il fallait intervenir là où les autres avaient échoué.

Mais, tout çà, je m’en fichais un peu car je n’arrêtais pas de penser à mon tunnel que je n’avais pas fini de creuser. Ce sentiment d’inachevé me rendait dingue. Il se mettait à nouveau à pleuvoir et la terre allait s’affaisser. Tout serait à refaire.


Et puis surtout, ça me troublait, ce choc des cultures. J’en perdais progressivement mon langage si fleuri.

Pendant ce temps là, ils continuaient à s’engueuler mais de façon plus joyeuse : il fallait me trouver un nouveau nom. Elle trouvait “ Stroumph ” trop réducteur. Les noms de Rambo et de Zorro ont été suggérés par le grand mec, que je trouvais au final plutôt marrant. Fatigué, j’ai réagi mollement au nom de Bug mais ça leur a suffit. Ils ont opté pour Bug.

C’est vrai que Bug, c’est beaucoup moins réducteur.
[150 pages plus tard]

que tout le monde se retournait derrière moi. Moi, je courrais comme un dératé, la barquette de bifton entre les crocs, bien serrés. Ça commençait à sentir le roussi. Les gens du quartier encourageait « super Jaimie » (c’est le surnom que je lui donnais au départ) dans sa course surnaturelle. J’ai viré à droite et je me suis propulsé dans la brasserie de la place de la Cathédrale. Ça devait faire six mois que je n’avais pas mis les pattes dans un troquet. J’ai compris que cet endroit allait devenir la planque idéale pour…
[213 pages après]

C’est là qu’elle m’est apparue. Une belle blonde bien en chair. Elle avait une robe soyeuse et nuancée. Elle sentait l’herbe fraîchement coupée. Au garot, elle devait bien faire soixante centimètres. Son stop mettait en valeur une large gueule carrée. Et ses guiboles étaient impeccablement poilues jusqu’aux ongles, taillés comme des accroche-cœur .

Je me suis grandi autant que j’ai pu. En redressant les oreilles, je pouvais facilement gagner trois centimètres. Elle s’est retournée à nouveau et a dodeliné de la croupe. On s'est compris. Il ne restait plus qu’à se soustraire à la surveillance des cerbères.

[207 pages plus loin].

et s’habituer maintenant à ce qu’on m’appelle Louis XV, avec cette déférence emprunte d’admiration et de profond respect.
[Et enfin, la conclusion]

Je suis devenu plus populaire qu’un candidat aux municipales. J’ai entendu dire qu’un chien n’avait pas de statut et qu’il était inéligible. Vous croyez que ça va m’arrêter ? C’est mal me connaître. L’ambition et le travail acharné, c’est l’histoire de ma vie.

Il m’a fallu 574 pages pour comprendre que je dois ma destinée à une volonté hors norme et à un courage ineffable, moi, petit morveux né dans la rue ayant grandi avec les parc-mètres. J’en ai arrosé des pneus et éventrer des sacs poubelles, avant d’en arriver là.

Cependant, être un gagnant ne s’improvise pas. C’est pourquoi j’ai écris ce livre. J’ai voulu partager avec vous les clefs de ma réussite.

Car il ne faut pas oublier une chose : ce destin exceptionnel, je l’ai forcé de façon insolente.

L’attitude du battant, il a fallu l’adopter dès le départ et depuis, elle est devenue un réflexe.

Chaque fois que je devine l’adversité, chaque fois que je renifle le danger ou les embrouilles, j’adopte inlassablement la même stratégie, car c’est la seule qui ait fait ses preuves.

Je m’assieds et je baille.