Cela fait déjà une heure que je suis coincé dans le coffre à respirer le même air qu’une plante verte.
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Ce serait supportable si ma patronne se concentrait vraiment sur sa conduite et se dispensait de prendre son autoradio pour un karaoké. Je serai presque tenté d’aboyer mais je veux lui montrer que même un chien sait contenir ses cordes vocales.
J’ajouterai que les paroles qui sortent de son larynx chevrotant sont navrantes :
Faire une virée à deux
tous les deux sur les chemins
dans ton automobile
tous les deux on sera bien
Ah oui, un vrai bonheur que de partir avec ma patronne.
Nous voilà enfin arrêtés, pour une simple pause je l’espère, même si le point de vue vaut vraiment le coup d’œil. Au-dessus de moi, une chaise en bois, et sur cette chaise ma patronne qui rêvasse devant un café fumant, au café-route de la borne 125, autoroute A10.
La 206 a avalé 100km à peine de bitume qu’il est déjà nécessaire de s’arrêter pour un deuxième petit déjeuner.
Nous voilà repartis dans la voiture, pour enchaîner avec We love to boogie de T-rex. Cette chanson ne me déplait pas totalement car à chaque fois, je crois entendre " We love too Buggy ". Buggy, c’est mon diminutif, disons plutôt un diminutif qui rallonge mais il est vrai qu’on n’a jamais pu me raccourcir davantage.
Mes yeux suivent les allées et venues de l’essuie-glace. Je commence à regretter de l’avoir suivie. Cependant, je ne me rappelle pas avoir eu le choix.
Le point de chute ? Aucune idée…j’ai cru entendre parler de Fresnes mais apparemment, rien à voir avec l’établissement pénitentiaire.
Après 2h30 de route et une nouvelle halte à Cheverny, nous approchons. Je suis comme un peu secoué sur cette route de sable qui longe un étang. Je découvre alors une petite allée très accueillante, bordée de groseilliers et de rosiers. Au bout, un olivier plonge ses racines dans une terre recouverte d’écorces de cacao. Dans quel pays suis-je, où les plantes poussent dans du chocolat ?
Avec ces volets rouges et son charme ancien, la coquette demeure me paraît bien trop accueillante pour être honnête. Je n’aurais pas imaginé la maison d’Hansel et Gretel autrement.
Ma comparaison n’est pas excessive car à mon arrivée, tout le monde me regarde comme si j’allais terminer sur le barbecue. Même les enfants s’intéressent à moi.
Des fenêtres s’échappent des notes de guitare…j’entends une voix désabusée qui chante la médiocrité heureuse et assumée de Djembe Man des Fatals Picard:
Tu grooves autant qu'un formulaire Assedic
A côté de toi André Rieux
C'est comme un suédois qui imite James Brown en mieux
Djembé Man, ha ouais tu joues mal, ha ouais tu joues mal, Djembé Man,
tu joues mal, tu joues mal, et en plus tu joues fort
Enfin un homme qui comprend le calvaire que j’ai subi sur la route.
D’emblée, je reprends du poil de la bête. Dans ce petit paradis, il ne pleut plus des cordes mais des frites faites maison.
Il y a même une piscine où tout le monde plonge allègrement. Elle ne sent pas le chlore mais le sirop de canne et la feuille de menthe.
Les adultes rivalisent d’imagination avec les plus petits et moi je les observe, étendu de tout mon long sur l’herbe, paresseux comme un lézard, heureux comme un loir. Je me sens gai comme un pinson, libre comme l’air et fier comme un coq lorsque les enfants se disputent pour avoir le privilège d’amener la gamelle jusqu’à mes pattes.
Je suis en totale communion avec la faune qui m’entoure, et les poules du terrain voisin paradent sans aucune crainte ; j’ai même l’impression de faire partie des leurs.
Plus ça va, plus je retrouve mon énergie de jeune chiot. Je finis la journée frais comme un gardon, au contraire du chanteur de Djembe Man qui erre avec son fichu jaune, malade comme un chien.
C’est enfin l’heure de la sieste pour tout le monde. J’entends les dernières notes jouées par un autre musicien nostalgique qui n’arrive pas à s’éteindre et qui cherche le sommeil avec un air de Metallica. La guitare finit par s’assoupir et le temps reste suspendu à toutes ces respirations mêlées.
L’irréductible petit bout de chou aux milles catastrophes a lui-même atteint ses limites et se met en veille, dans un sommeil lourd et paisible. Il lâche enfin mon oreille qu’il a prise pour un doudou.
La vie ne reprend ses droits qu’en fin d’après-midi pour un seul impératif : préparer le repas du soir. Ainsi se poursuit ce week-end, où tout le monde travaille à respecter son rythme biologique…
Fatigués, épuisés mais bienheureux.
Certains scientifiques affirment que le bonheur est une question de sérotonine. Un taux de sérotonine trop faible conduit droit à la dépression. D’autres privilégient l’intensité lumineuse et prônent les bienfaits de la luminothérapie.
Ce pourrait être encore une question d’équilibre oscillatoire cellulaire. Dans ce cas, le retour au bien être peut être assuré par l’action des champs électromagnétiques pulsés. Ainsi soigne t’on la tristesse comme l’on soigne les pathologies rhumatismales.
Moi, je ne produis pas de sérotonine. Enfin, je ne crois pas que les chiens en produisent.
Qu’il fasse beau ou mauvais, je suis toujours aussi vif. Et mon cerveau n’a jamais été soumis aux champs électromagnétiques alors qu’en 10 ans de vie agitée, mes cellules ont certainement subi des déséquilibres oscillatoires.
Pourtant, j’arrive à rester de bonne humeur la majeure partie du temps.
Alors quoi ? La joie dépendrait de quoi ? J’en connais quelques-uns qui crieraient à l’unisson " du dosage du Mojito ! ".
Ce n’est pas improbable.
Mais j’ai observé quelques personnalités qui font partie de l’entourage de ma patronne et je crois comprendre que la joie ou la bonne humeur persistante est une question de savoir-faire, peut être même de discipline, la seule discipline à laquelle je veux bien être réceptif.
Ils sont à l’instar de ces grands cuisiniers qui, par leur expérience, vous mijotent des plats succulents à base d’ingrédients de base.
Ce dont je suis certain, c’est que tant que je serai entouré de ces gastronomes de la vie, je n’aurai nul besoin de chimistes ou de radiologues pour rééquilibrer les oscillations des cellules de mon cerveau.
jeudi 19 juin 2008
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