jeudi 27 mars 2008

Dans la jungle, terrible jungle de KARUKERA



Madame Josette, la voisine, vient de me servir un reste de ragoût. L'estomac bien rempli, il ne me reste plus qu'à attendre l'heure de la promenade. Cela fait déjà 9 jours que nous avons pris nos habitudes tous les deux et ce nouveau rythme me convient parfaitement, à tel point que je deviens très docile et obéissant.

C'est une après midi pluvieuse et j'aime à entendre la pluie battre les pavés, sur fond d'odeurs de tartines grillées.

Mais, aujourd'hui, au lieu de dormir profondément comme à mon habitude, je plonge dans un demi-sommeil que vient troubler le tintement léger d'une cuillère sur la porcelaine fine d'une tasse de thé.

Ce son hypnotique devient clapotement puis cliquetis plus violent, comme celui du foc frappant le mat d'un bateau exposé au vent.

Je me retrouve curieusement à flotter au dessus d'un voilier.

Perdant tout contrôle, je subis une soudaine accélération de mon rythme cardiaque, mon corps se préparant à un drôle d'envol. Je passe de 6000 à 27000 pieds et toute cette puissance me permet de percer en un éclair les nuages noirs et épais, chargés d'humidité, qui stagnent au dessus de mes oreilles.

C'est alors qu'incrédule, je me surprends en train de survoler un immense miroir bleu argenté. Ma vitesse de croisière est de 900km/h au sol.
.
Si c'est encore un rêve tordu, il faut au moins lui reconnaître sa remarquable précision.

Au bout de quelques heures, mon esprit engourdi par la magie de ce voyage onirique, se met à la recherche d'une escale. Je me permets cependant d'hésiter entre l'Océan Atlantique et la Mer des Caraïbes.

Entre les deux, ce que je crois être au loin une simple éclaboussure de terre devient, au fur et à mesure de mon approche, un diamant d'un vert intense et lumineux.

De quelle divinité cette gigantesque émeraude peut t'elle bien orner le front?

La beauté ne peut être le fruit du hasard et a nécessairement une vocation... Ou alors, elle échappe à mon entendement.

A peine posé, j'explore les facettes de ce joyau dont la pureté n'a d'égal que sa perversité. Un couloir végétal d'une hauteur impressionnante se dresse devant moi, me conduisant à une cascade trop paradisiaque pour être bien attentionnée. Je succombe au plaisir d'une baignade dans les eaux tièdes mais très vite les rochers glissants me réservent de bien mauvais tours et m'entraînent dans un plongeon forcé alors même que j'étais volontaire.

De faux pas en faux pas, je m'extrais, haletant, de la forêt tropicale et prend la décision de n'enfoncer les pattes que dans le sable fin des lagons dociles et photogéniques. Les Portes de l'Enfer... quel drôle de nom pour ce que j'imaginais être un solarium naturel... Bien trop confiant, je manque de me faire aspirer par le trou de Madame Coco, triste légende qui n'a rien à voir avec une farce graveleuse.

Je m'engage alors définitivement sur la terre ferme et m'achemine, sous un soleil sans ombre, jusqu'à la Pointe de la Tortue d'où je peux découvrir l'activité assourdissante des souffleurs.

La mer déchaînée s'immisce dans les cavités calcaires et, sous l'effet de la pression, se trouve propulsée au dessus de la roche pour former un véritable geyser. Je me prends en retour les embruns en pleine face. Mes coussinets brûlent sur les cristaux de sels qui se sont formés jour après jour.

Exclu de la forêt tropicale tel un corps étranger, menacé d'être englouti par les vagues qui me poursuivent jusqu'à percer la croûte terrestre, je n'ai d'autres choix pour trouver le salut que de gravir les montagnes de Basse Terre. En altitude, je serai enfin hors d'atteinte.

La Souffrière n'est pas si haute et ne réserve pas de surprise particulière: elle est égale à elle-même, c'est à dire sulfureuse mais loyale car elle signale, par ses fumerolles, les endroits où il vaut mieux s'abstenir de poser les pattes. La végétation alentours n'est que cendre.

Je rebrousse chemin mais soudain, il me semble entendre comme une bête aux abois, ou plutôt le cri d'un oiseau moqueur. Ce piaillement m'est familier et annonce un choeur entier de cris de ralliement. Je distingue parmi eux le rire de ma patronne.

Je les découvre, voûtés sous leur cape de pluie, travaillant à se répartir les victuailles. Je cours dans leur direction mais j'ai la sensation que mes pattes moulinent dans le vide.

Mes babines tressautent encore sous l'effet de l'odeur du poisson fumé lorsque que mes yeux s'ouvrent peu à peu sur la réalité. Je crois reconnaitre dans l'entrebaîllement de la porte ma patronne qui cause avec Madame Josette.

Emergeant à peine de mes songes étranges, je doute un court instant de son identité. Sa peau est tannée par le soleil et sa chevelure est épaissie par l'air marin, presque crépue.

Alors qu'elle se dirige vers moi, j'observe que sa silhouette est plus robuste, et sa démarche très chaloupée.

Je n'ose pas la saluer. Elle s'amuse à prendre ma réserve pour de la bouderie.

Telle une matrone, elle plante ses mains sur ses hanches en basculant le bassin vers l'avant.

- ça ka maché, Chien la?

Puis, se tournant mollement vers Madame Josette:

- Et ben...I conten chien la. Bien mangé et tou gro. Ou tro geinti, Madam Josette. Mèci!... Ou ni l'her fatigué! Man man ou kaille bien?

- Moin désolé mi moin pa ka pale créol...

- Tan pi! ça pa ni impôtence! Moin pa bava. Ki l'hè i yé? Ouh là là! Il di cink hè di minutt! Moin crazé et la pli ka tombé! ÇA fouett pa ici! Mèci pou chien la! Bonsouê!

Ma patronne est revenue de son baptême créole et apparemment, elle tient à le faire savoir.

Il y a ce côté exaspérant chez elle que lorsqu'elle est emballée par un voyage, elle ne sait pas quoi inventer pour en prolonger le plaisir.
.
L'appartement est rempli d'odeur d'épices en tous genres. Je sens que mon prochain rêve se fera dans une ambiance zouk.

Ne la contrariez pas trop dans ses fantaisies, vous gagnerez même à abonder dans son sens, car ce sera alors « Punch pou tout'moune »!

Cependant, elle aura beau avoir le sang gorgé de rhum citron, elle ne parviendra qu'à faire fuire les moustiques mais certainement pas à reproduire la douceur de vivre en bords de mer.


mardi 11 mars 2008

Intermède


.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
;
;
;
A trop vouloir s’ouvrir, il s’est tordu
Je me prends un vent par mon parapluie
Telle une corolle vers le ciel tendue
De l’eau des nuages gris il s’emplit

D’un coup sec je le rappelle au devoir
Mais mon caban aussi s’est retourné
Sur mon visage le col s’est plaqué
A tâtons, je progresse dans le noir

Il m’énerve ce môme à se moquer
Qu’il surveille donc sa belle casquette
Gonflée par le vent, elle veut tournoyer
Entrer dans la valse des pétales en fête

Le printemps se joue déjà de l’hiver
Mais c'est encore un petit joueur
Je le devancerai bien d'une longueur
Rien qu’en traversant cinq fuseaux horaires