lundi 5 novembre 2007

Je ne mens pas, j'invente!



Bug, en pleine séance contemplative, se décide à interroger la petite indienne des Alpes, absorbée elle-même par un spectacle improbable:

- Qu’est-ce que tu regardes?
- Des marmottes en train de faire de la balançoire.
- Ce n’est pas possible.
- Si ! Puisque je les vois !
- Mais enfin, tu ne peux pas voir de marmottes ici parce qu’elles ne vont jamais dans la vallée. Elles font peut être de la balançoire, mais plus en altitude.
- Tant pis pour toi, si tu ne veux pas les voir…Mais qu’est-ce que tu vois toi, alors ?
- Eh bien, je vois des marguerites, des Asters, des Centaurées scabieuses, des gentianes pourpres, des pensées des Alpes, un mégot de cigarette (*), des pervenches, du trèfle des près, des colchiques mais ça c’est parce que je suis poète.
- Non, c’est parce que tu es tout petit et que tu ne peux voir que les fleurs. Et puis tu essaies toujours de m’impressionner mais je suis sûre que tu as trouvé les noms de fleurs sur l’ordinateur, par Internet ! Il est où le mégot de cigarette?
- Tu crois que c’est vraiment l’endroit pour se mettre à la quête d’un mégot de cigarette? Et puis, je suis attristé d’être pris pour un imposteur ou un menteur, surtout par une petite fille qui prétend voir des marmottes en train de faire de la balançoire.
- Justement ! c’est tellement magique que ça ne peut pas être un mensonge. Alors que toi tu essaies de donner l’illusion de la vérité, de dire ce que tu ne sais pas, d’être ce que tu n’es pas.
- (…) Ce n’est pas l’heure de ta sieste ?
- Montre moi des centaurées scabreuses!
- Des centaurées scabieuses, pas scabreuses.
- Montre moi tes centaurées gracieuses! Puisque tu sais si bien!

- J’en avais vu une, mais tu viens de l’écraser.
- T’es un menteur, un menteur que j’adore mais un menteur quand même !
- Bon très bien, j’ai compris : la prochaine fois que je te raconterai une histoire, je ferai comme toi, je m’arrangerai pour qu’elle soit merveilleuse et magique mais surtout pas mensongère.
- D’accord ! J’adore qu’on me raconte des histoires ! (pourvu qu’on ne me prenne pas trop pour une idiote).




(*) : Attention, fumer nuit gravement à la santé

C'est facile de faire le malin quand on est mort



C’est tout ce que m’inspire la traditionnelle visite annuelle au cimetière. Pure formalité selon moi.

Les chiens n’ont pas le droit d’aller au cimetière.

C’est bien la première fois que je me félicite d’être exclu.

Comment peut-on parvenir à se recueillir et sentir son cher maître disparu, en restant planté devant cette plaque de granit sombre, glacée et inodore?

C’est presque une insulte de penser à lui devant ce machin.

La sinistre pierre tombale a au moins un mérite, celui de rappeler une réalité: la mort, eh bien…c’est vraiment la fin.

Ça paraît peut être évident pour certains mais pour d’autres, ça pourrait être un scoop.

IL n y a plus rien après la vie, ni bonheur éternel, ni rémission, ni réincarnation, ni châtiment.

Je ne dis pas que c’est inutile ce genre de truc ; je pense même que ça peut être salvateur pour combler un certain manque, au départ…mais je n’y crois pas.

Un chien n’a pas besoin de croire en un « Après », et puis c’est tout.

En revanche, je crois farouchement à la Mémoire. L’âme et la mémoire, c’est la même chose pour moi.

Et le questionnement du genre « mais vers quelle contrée lointaine son âme s’est-elle élevée ? » me laisse dubitatif. J’ai envie de répondre : « t’inquiète, son âme n’a même pas dépassé la hauteur du peuplier voisin et encore moins traversé la couche d’ozone. Pas besoin de la chercher bien loin, elle est en toi… allez cherche, cherche encore…»

On dit « la vie continue » mais je crois que c’est un peu faux car la vie, après ce genre de bouleversement, change nécessairement; en tout cas, la perception de la vie ne peut que changer.

Au début, on croit que quelque chose est définitivement mort et on essaie, par de mains efforts, de ranimer cette chose.

Moi, j’ai compris que ça se gâtait quand j’ai déménagé chez la patronne. Il parait que je crispais l’infirmière à observer et réconforter mon maître, le museau sur le lit, pendant qu’elle dispensait les soins. Et puis, j’ai vraiment eu la pétoche quand je suis revenu chez lui et qu’il n’y avait plus de lit médicalisé. Donc, je restais obstinément dans sa chambre parce que son odeur flottait encore un peu et je ne pouvais m’empêcher de me dire que tant qu’il y avait de l’odeur, y avait de l’espoir. Je n’ai jamais su à quel moment il m’avait vraiment quitté, alors ça devenait vraiment une fixette. Ma patronne aurait presque pu y voir un état de grâce car je ne pensais plus à faire de conneries. Mais alors, plus du tout.

J’en suis devenu presque mystique : si un oiseau me survole avant que je n’aies fini de compter jusqu’à trois, c’est qu’Il est près de moi. Si le vent fait frissonner les feuilles dans les arbres à mon passage, c’est qu’Il essaie de me parler…Juste une furieuse envie de communiquer avec lui une dernière fois ; on a tellement peur qu’il soit parti avec le sentiment d’avoir été incompris, dans cette solitude si bien entourée, si bien organisée.

Mais rien ne venait me conforter dans mon attente de chien têtu. Je ne faisais qu’interroger le Néant, le froid, l’insensible. C’était mort et bien mort.

Et à partir de ce moment là, on a envie de lui crier alors qu’il n’est pas le seul à être mort et de lui chanter qu’ah oui, il est beau le résultat! On mangerait bien tous ses disques vinyles mais on sait bien que ça ne le fera pas revenir.

C’est après que tu réalises que rien n’est vraiment éteint. C’est même tout le contraire puisque tu te sens animé par quelque chose d’inexplicable. Est-ce un fantôme bienveillant ? Non, plutôt une hyper-sensibilité toute nouvelle. Elle s’anime peu à peu en toi cette petite flamme, dont tu commences à prendre conscience. Tu te plais même à la raviver de temps en temps. Elle ne te brûle plus, elle ne te consume plus, elle te réchauffe simplement avec douceur.

Certes, un jour, tu pourrais bien avoir le malheur de tomber sur cette maudite photo, un portrait encore trop vivant, qui fera éclater une joie de vivre indécente, ignoble. Et ce magnifique sourire inanimé, figé pour toujours, pourra te paraître cruellement narquois et réveiller ta douleur à peine canalisée.

Tu ne pourras pas t’empêcher de lui en vouloir de faire le malin alors que là, non, ce n’est vraiment plus le moment de plaisanter.

Mais il ne fait pas le malin.

Il te rappelle simplement que ce n’est pas grave, que rien n’est vraiment très grave et irréversible. Tout est un éternel recommencement et il n’est pas improbable qu’il contribue encore à la sublimer, ta vie.

Tu peux me répondre que tout ça n’est qu’une vue de l’esprit, une illusion identique finalement à celle qui est de croire en une autre vie après la vie. Pour moi, c’est très différent car tu n’attends plus rien de lui. Ça ne te rend pas nécessairement plus fort mais au moins, tu ne te trouves pas livré trop brutalement au chagrin. Tu n’es plus seul.