lundi 25 décembre 2017

Alerte à Itaparica


J’ai perdu ma maîtresse.

Un séjour dans une pension pour bipèdes désoeuvrés,  l’a plongée dans un état définitif de contentement hébété. Je ne peux plus partager avec elle mes angoisses existentielles de pov’chien  rongé par le trauma de l’Abandon, sans qu’elle ne me tapote le museau, et balance les hanches en scandant « Wheppa ! Wheppa !».

La pluie, le froid, la réforme de la procédure civile, rien n’y fait. Depuis son retour, la vie est devenue un  terrain de jeu dont elle croit pouvoir réinventer les règles chaque jour, avec une rigoureuse folie, comme le ferait un GO du Club Med.  « Wheppa ! Wheppa ! »

Je veux bien admettre que faire planer un homme bleu en cape rouge au dessus d’une piscine pour tenir en respect un requin en PVC, demande une maîtrise aboutie des éléments air et eau, mais cela ne fait progresser personne.

Qu’a-t-elle donc appris de son évasion, si loin de tout, et surtout de moi ?

Que rencontre t’on dans la Baie de tous les Saints, sur l’île d’Itaparica ? Un club Med, des condominiums emmurés (le guide en rit: ici les privilégiés se font eux-mêmes prisonniers de leurs murs) puis,  au-delà  du récif, des pétroliers et porte-containers.. mais sur le trois quart de l’ïle, que rencontre t’on exactement?

« Energia ! Energia !» s’écrient-il tous à l’unisson pour clore le cours de gym aquatique, avant de se précipiter au bar et commander une caïpi. Ici, aucun jugement, aucune caste reconnaissable, personne ne songe un seul instant à parler de son activité professionnelle, ni de son rôle dans la Société. On ne parle pas Misère non plus. Et même en sortie, à Salvadore de Bahia, on explique au touriste du Club que ce qu’il voit, ce ne sont pas des favelas, mais des « quartiers naturels ».

Ma drôle y a été victime, je pense, d’une certaine forme de radicalisation, encore mal connue des pouvoirs publics et qui pourraient bien compromettre le bon ordre social, si ce mouvement déviant n’était pas contenu dans des clubs bien fermés,  où l’on se permet de rire haut et fort, de tout et avec tous.

Le rire est oubli, il est mépris des réalités siffleraient les plus virulents.

Et pourtant, là-bas, ma drôle n’en démord pas : le rire, c’est ce qu’elle a partagé de plus beau, de plus vrai,  à l’intérieur et à l’extérieur des frontières virtuelles données aux GM (« gentils membres »). IL a été son passeport entre les deux zones.

Car s’il est interdit au GM de franchir la ligne rouge en exhibant une montre clinquante, des boucles d’oreilles trop dorées, et même un simple sac en bandoulière, personne ne lui a demandé de se dépouiller de son rire. 

Elle rêve maintenant d’un nouveau terrorisme qui saborderait l’équilibre d’une société toute entière, surtout si cet équilibre ne repose que sur des sentiments mortifères : peur, croyances, frustrations et culpabilité.

Aujourd’hui, quelle grande puissance, quel dirigeant est vraiment préparé contre le rire, surtout celui qui désarme?

Quand tous travaillent à la persuasion nucléaire, ils négligent le vrai danger, qui pourrait bien s'échapper des clubs confidentiels d’initiés.

N'oublions pas que dans ces clubs, les hommes costumés qui concentrent tous les pouvoirs, même celui de voler, on les balance joyeusement dans la flotte. Ou du moins, on en rêve.

On ne se méfie pas assez des clubs de vacances mais leur propagande se révélerait redoutable, sortie des petits territoires qu'on leur assigne.

Oui, je lève mes yeux vers ma Drôle, et j'en suis désormais convaincu : elle n'est pas partie en vacances...mais en entraînement intensif.




Le rire aussi peut manquer sa cible. 2ème tir.




mercredi 8 novembre 2017

L'éternel retour





Et si un jour ou une nuit, un démon se glissait furtivement dans ta plus solitaire solitude et te disait : ” Cette vie, telle que tu la vis et l’a vécue, il te faudra la vivre encore une fois et encore d’innombrables fois; et elle ne comportera rien de nouveau, au contraire, chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand doit pour toi revenir, et tout suivant la même succession et le même enchaînement – et également cette araignée et ce clair de lune entre les arbres, et également cet instant et moi-même. Un éternel sablier de l’existence est sans cesse renversé, et toi avec lui, poussière des poussières!”     Friedrich NietzscheLe Gai Savoir
C'est bientôt l'hiver. La mer reste lointaine une bonne partie de la sainte journée, et se décide à monter le jour déclinant, à l'abri des regards, pour venir me border et m'offrir son ressac en berceuse. Voudrais-je revivre exactement cette journée?

A cette heure, je suis étendu sur le canapé, éreinté et heureux. Le chat est lové entre mes pattes et ronronne comme tous les chats, comme tous les jours. Ma Drôle est concentrée sur un test psychologique déniché dans un magazine féminin "Etes-vous trop dans l'émotion?". 

Elle s'affaire à comptabiliser les points rouges, les carrés bleus et les triangles oranges dont la répartition lui permettra enfin de connaître son positionnement exact sur l'échelle de l'émotivité. Sur la table basse, les marrons chauds sont encore trop chauds et le thé à la fleur d'oranger diffuse son arôme réconfortant.

Je suppose qu’elle ne se pose pas la question de savoir quel degré d'émotion elle atteindrait si un démon devait l’interrompre dans ses savants calculs, pour la confronter brutalement à une alternative: revivre sa vie dans les moindres détails ou se livrer définitivement au Néant. 

Ce démon ne se contenterait pas de sanctionner l'option choisie par un rond rouge ou un carré bleu...Qu'elle trahisse un seul instant sa crainte d'avoir à tout recommencer,  et la voilà pulvérisée dans les profondeurs abyssales du non-retour. Plus jamais elle ne me servirait de croquettes et de viande crue les jours de fête, plus jamais elle ne m'implorerait de venir à ses pieds, plus jamais je ne la verrais s’assoupir devant la télé,  oubliant une assiette de fromage à portée de museau.

Pauvre fille ou pauvre humaine… qui serait tétanisée à l'idée de tout revivre, exactement dans le même ordre, avec la même intensité. Elle me fait peine parfois, à diriger ses désirs toujours et uniquement vers l’inconnu. 

N’existe-t-il donc que les chiens pour désirer le connu ? Il m’importe peu de tout revivre à l'identique pourvu que je goûte encore à cet instant, ou celui de ma course folle sur la plage endormie - je poursuis des proies invisibles et déterre des coquillages désertés-. Les malheurs d'autrefois et ceux qui ne sont pas encore advenus m’emplissent de gratitude s’ils peuvent concourir, même malgré moi, à ce moment d'ivresse infinie.

J'imagine ma Drôle m'objectant:

 "Tu te crois libre, pauvre toutou, à courir comme un dératé sur le sable, délié de toutes peurs, mais ton sentiment de plénitude serait bien risible pour un observateur céleste qui ne verrait qu'un chien enfermé dans un sablier géant sans cesse renversé".

Certes, à observer ma patronne remplir son cahier d'écolière de carrés et de ronds, on pourrait douter de son aptitude à initier un débat philosophique avec son chien. Je soupire et poursuit cependant mon dialogue intérieur. Et si j'étais enfermé dans un sablier géant...

Quitte à recommencer sa vie indéfiniment, autant en dérouler le fil avec panache et créativité. Après tout, il est des films qu'on adore revoir, des livres qu'on adore rouvrir. L'artiste a tout compris, qui fixe ses émotions sur bobine, sur toile ou sur partition: il les revit à chaque étape de la réalisation de son oeuvre, les précise, les corrige jusqu'à ce qu'elles se révèlent à lui dans toute leur justesse. Ainsi, il pourra les revivre éternellement.

Je regarde avec tendresse ma patronne: a t-elle conscience que la Grande Roue du temps pourrait lui commander de feuilleter, pour l'éternité, son magazine Biba? Non, car si elle en avait conscience, elle  le balancerait joyeusement, se lèverait, prendrait ma laisse et m'offrirait une magnifique balade au clair de lune. 

Mais il s'agit là d'une vision extra-lucide, à hauteur de chien, et qu'elle peinerait sans doute à comprendre.

mercredi 25 octobre 2017

#balancetonchien


Manifestement, ce n'était pas un coussin à mémoire de forme.

samedi 9 septembre 2017




Bonjour,

Moi, chien oublié, répudié  par  son maître, canardé par un excité jaloux de ses poules, humilié par les canards du marais, grimpé par des congénères abrutis, viens vous parler crocs dans les crocs.

Moi, chien castré, dont on voudrait la lignée finie, chien sans futur et sans passé, forcé d’oublier les restes de vie, toutes poubelles interdites,  et cependant dressé à me comporter en animal civilisé et confiant, viens vous parler de ma furieuse envie d’aboyer et d'exulter,

De mordre et d'adorer.

Moi, chien au nez fin, ne craignant ni la mort ni la renaissance, pissant sur les horodateurs, méprisant le temps qui se calcule en euros, ai enfin trouvé ce que je cherchais.

Moi, dont les ancêtres ont permis à l'homme de traverser les terres polaires, et Seigneur du Pays sacré, ne reconnaissant que l'autorité de la Forêt - lieu d'abandon et de refuge-, me jouant des rappels de ma matonne, vous crie mon amour de la viande crue et de l’amitié.

Moi, Garou, qui sais donner de la voix, écoutez-moi et comprenez-moi, 

Savez bien que j'suis pas un enragé

vendredi 3 mars 2017


- A quel moment préconisez-vous la mise à l'eau, Chef? Ce gros canard va bien finir par nous échapper! Je suis fatigué de l'entendre ricaner à chacun de ses passages.


- Mon mignon, on obtient une poule en couvant des œufs, pas en les écrasant. La clef de tout est la patience. Et la patience est une vertu qui s'acquiert avec de la patience.


- Si je peux me permettre, Chef, mon ancien Chef me disait toujours que la patience est une forme mineure de désespoir, déguisée en vertu. Et là, Chef, je vois bien que je commence à désespérer. C'est pas mon truc de philosopher avec un marin d'eau douce qui navigue en cale sèche.




- Tais-toi, et observe encore plus attentivement. C'est ainsi que tu accéderas à tout ce dont tu as besoin. Que vois-tu?

- Un canard bien dodu et très certainement bien goûtu. 


- Que vois-tu, encore?


- ....?



Une heure plus tard:



- C'est bien le gros Duck, qui vient de nous passer devant, Chef? Et je suis resté pétrifié... Je n'ai rien pu faire que de le regarder passer. Il est émouvant, non, avec sa démarche chaloupée? Que se passe t'il, Chef? j'aurai dû lui sauter dessus!

- Tout est normal, mon mignon.


Chaque âme est et devient ce qu'elle regarde.


Tu es devenu son frère.

- Y a erreur, Chef, je n'aurai jamais de bec tout juste bon à gober des vers.


- Sans doute, mon canard.




mercredi 15 février 2017

ça ne peut pas faire de mal



Tout chien sauvage que je suis, je ne dédaigne pas le mobilier douillet et raffiné que l'on trouve dans les appartements bourgeois. 

Je suis même reconnaissant au chat de m’en avoir appris le bon usage. Nous nous entraînons tous les deux à exploiter les possibilités infinies que nous propose par exemple le canapé rouge: de l’assise généreuse, qui nous permet de nous étendre de tout notre long,  au gouffre moelleux que nous avons façonné, entre le coussin de dossier et la structure capitonnée, en passant par les accoudoirs amovibles qui offrent une prise agréable et docile pour mes canines désœuvrées.

Quant au lit, il ne m’a pas été interdit bien longtemps, juste le temps que je prenne suffisamment confiance pour sauter par-dessus la barrière de fortune, pauvre panneau plastifié, coincé dans l’encadrure de la porte.

Au fil des semaines, ma Drôle a compris que ce barrage symbolique ne se justifiait plus que pour contrarier sa progression à l'occasion des levers nocturnes, et a finalement fait preuve de raison en le retirant complètement.

Depuis, j’occupe tranquillement mes soirées à attendre que le sommeil la prive de sa vigilance puis prends place silencieusement, et avec délectation, sur la couette qui sent la fleur d’oranger.

Cette nuit encore, mon sommeil a été interrompu par le déclenchement de la radio, à l'heure où les coqs dorment encore et où ma Drôle lève un premier œil. Il m’a fallu endurer l'admonestation d'usage, formulée mollement malgré la brutalité inappropriée du langage « Qu’est-ce que tu fous là, merde ! », avant de laisser l’insomniaque s’apaiser, bercée par les voix doucereuses échappées du poste.

J’espérais ainsi rattraper le cours de la nuit quand je sentis un obstacle évident au repos absolu: une tension palpable pervertissait l'atmosphère de la chambre. La Drôle ne s’endormait pas, bien au contraire. Elle gardait les oreilles dressées, tout occupées à capter et enregistrer chaque mot diffusé du poste radio. Je sentais son attention devenir de plus en plus soutenue et l’imaginais sans peine les yeux bien ouverts, concentrée à taire sa respiration pour ne rien manquer du faible son dont elle se nourrissait passionnément.

A mon tour, je rassemblais tous mes sens et voici ce que j’entendis, vis, sentis :

"le monarque absolu de ce beau royaume était, depuis quatre ans, le chien Buck, magnifique animal dont le poids et la majesté tenaient du gigantesque terre-neuve Elno, son père, tandis que sa mère Sheps, fine chienne Colley de pure race écossaise, lui avait donné la beauté des formes et l'intelligence humaine de son regard. L'autorité de Buck était indiscutée. Il régnait sans conteste non seulement sur la tourbe insignifiante des chiens d'écurie, sur le carlin japonais Toots, sur le mexicain Isabel, étrange créature sans poil dont l'aspect prêtait à rire, mais encore sur tous les habitants du même lieu que lui (...) 

Dans les nuits froides et calmes, quand, levant le nez vers les étoiles, il hurlait longuement, c'était ses ancêtres, aujourd'hui cendre et poussière, qui à travers les siècles hurlaient en sa personne. Siennes étaient devenues les cadences de leur mélopée, ce chant qui signifiait le calme, le froid, l'obscurité"

Voilà comment une histoire figurant parmi les incontournables des programmes scolaires, prenait une nouvelle dimension romanesque, une fois resservie par les cordes vocales d'un lecteur radiophonique qui m'était alors inconnu.


Au commencement de mon écoute, la voix m'irritait singulièrement, sans doute parce que je la trouvais un peu empruntée. Imaginez ce genre de voix précautionneuse, impropre à donner des ordres clairs à un chien, ou à lui offrir un discours intelligible. Je pensais jusqu'alors que seules les voix autoritaires des chasseurs méritaient de se faire entendre et respecter, bien qu'elles commandassent généralement une mise à mort imminente.


Je notais cependant que les mots étaient parfaitement articulés. Vous devez comprendre par là qu'ils étaient soigneusement assemblés comme pour faciliter leur mouvement, les inviter à devenir autonomes, tels des pantins qui prennent vie au fur et à mesure d'une incantation magique. L'histoire et les protagonistes s'imposaient peu à peu comme la seule réalité possible, concrète, faisant brutalement irruption dans la fiction de nos vies routinières. 

Cette voix là n'annonçait aucune fatalité funeste, comme celle de mon ancien maître prédateur des bois, mais au contraire, créait la vie.

L'obscurité de la nuit laissait place aux paysages immaculés et  indomptés des territoires du Yukon, en Alaska. Le calme environnant et le ronronnement du chat se trouvaient d'un seul coup livrés au chaos de la folie humaine et animale.

Un chant délicat, aux intonations troublantes de justesse et pleines de retenue, m'ordonnait de sacrifier la quiétude d'une nuit bienheureuse au profit d'un monde cruel, aspiré par la violence ordinaire des hommes, des bêtes, du Ciel et de la Terre, et aussi par leur émouvante beauté. Je découvris enfin tout ce que l'espoir cachait de redoutable,  en ce qu'il conduit indistinctement ses sujets au naufrage ou à la résurrection.

Je ne percevais plus l'odeur de la fleur d'oranger mais "la senteur de la mousse fraîche et des herbes longues couvrant le sol noir, parmi l'humus séculaire" qui me remplissait "d'une joie mystérieuse".

Soudain, mes tympans hypersensibles furent transpercés par un hurlement terrible, indescriptible et le spectacle qui m'était offert me terrifiait: ma Drôle était assise sur son lit, le dos droit comme un arbre, les bras tendus et les poings enfoncés dans le matelas. Le menton levé vers le ciel et ses lèvres retroussées découvraient des canines acérées. A son rugissement profond répondaient tous les chiens des alentours. Je reconnaissais la gentille Véga, l'espiègle India, l'intimidant Magnus, et le joyeux Tobby. 

Tous s'unissaient d'une seule et même voix, pour former une chorale sinistre s'élevant vers les cieux immenses. Tous se soumettaient à l'appel de la Forêt, sous un clair de lune lugubre.

Le lecteur radiophonique venait d'achever sa mission démoniaque.

Tout chien sauvage que je suis, j'ai appris à résister à l'appel de la Forêt. 

Aussi légèrement que possible, je me projetais du lit. A pas de loup, je me retirais de la chambre, et laissais ma Drôle à ses instincts sauvages retrouvés.

Pouvais-je vraiment ignorer ce qui m'avait déjà contaminé? Rien n'arrête la croissance des arbres. L'Appel résonne en nous tous, sans que nous n'en comprenions l'origine. 

J'avais cru pouvoir fuir la forêt, mais elle avait déjà envahi tout mon espace.



A écouter:
Guillaume Gallienne, ça ne peut pas faire de mal
l'Appel de la Forêt, Jack London







samedi 28 janvier 2017

Nouvelle donne




















Avis au lecteur: suite au décès de Bug survenu à la fin du mois d'août 2016, ce blog change de propriétaire.

Votre nouveau serviteur doit vous prévenir : il ne s'épanchera pas sur ses humeurs, réflexions intimes ou autres rêveries qui sont tout autant de prétextes à flatter son ego, et se donner une consistance humaine à laquelle il préfère renoncer tout de suite.

Votre nouveau serviteur aime les canards et entend que ce blog leur soit en bonne partie consacré.

Il aime également qu'on ne le contrarie pas lorsqu'il est sur une bonne piste. S’il flaire du gibier, il sera sourd à tous les appels et rappels, indifférent aux hurlements rageurs ou encore aux supplications incessantes de revenir au pied. 

Cependant, il me faut me soumettre à une volonté, celle de mon prédécesseur qui, dans son testament, a conditionné la reprise de son blog au  "Bon respect de ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera". Quitte à éditer des règles, autant qu'elles soient incompréhensibles et inefficaces.

Ce qui a été...Et ce qui n'est plus donc… A moins que ce qui a été, ce qui est, ce qui sera ne soit une seule et même chose...

Pour moi, les choses étaient bien claires jusqu'à présent, je n'ai jamais suivi qu'une seule piste:

Le secret d'une vie bonne est de savoir reconnaître ce qui doit mourir et le laisser mourir. 

Vous le comprendrez plus facilement à la lumière de mon histoire.

Il y a près d'un an, un cabot errant s'est livré aux services d’hygiène et de salubrité de la commune d’Agen pour intégrer le Service Public de la Fourrière.

Par cet enfermement consenti, il a tué également l’espoir de retrouver le Maître qui avait criblé joyeusement son arrière train de plombs à volatiles, histoire de stimuler son âme de chasseur.

Quelques jours avant sa reddition, il avait reconnu et accepté l’agonie de sa liberté, lorsqu’à se nourrir de glands et de déchets organiques en pleine forêt, ses forces vitales l’abandonnèrent, laissant son instinct le conduire à la ville.

J'ai oublié tout ce qui avait fait de moi un cabot de mon espèce, lorsque je me suis trouvé exilé à l'autre bout du monde, au refuge de Chamarandes, où j'ai rejoint une centaine d'autres loufiots, venus de France Métropolitaine et d'Outre-Mer.

Puis, une drôle s'est présentée devant mon box, le jour même qui suivit mon arrivée.

Elle était alors hésitante car la bénévole ne pouvait lui donner aucune indication sur mon caractère. Or, il lui fallait embaucher un chien capable d’accompagner un congénère dans ses vieux jours. J’ai su ensuite que son vieux chien avait lui-même été choisi 13 ans plus tôt, pour assumer les mêmes fonctions d’auxiliaire de vie, mais auprès d’un vieux père. 

Toujours en présence de la bénévole, Bug m'a été présenté à la sortie du refuge, avec beaucoup de précaution. Il m'a jaugé d'un air las et semblait surtout pressé de reprendre place dans la voiture, tel  un  vieux parrain sicilien qui accorde sa bénédiction à une nouvelle recrue.

Durant un printemps et presque tout un été, Je l'ai suivi dans ses déplacements, ralentis par une arthrose sévère. Nous avons partagé  de bons gueuletons ainsi que les joies quotidiennes des sorties. J’ai imité quelques temps son incontinence, pensant qu’il était naturel de se laisser aller sur le tapis ou un pan de rideau. Il se jouait de mon côté encore sauvage et innocent, non habitué à la vie en appartement mais curieux d'apprendre à ses côtés les bizarreries de la vie citadine.


Nous avons voyagé en touristes, dans le Périgord, au moment des floraisons et des bonnes odeurs. Ce que j’ai pu être malade dans la voiture sur ces petites routes ondulantes et indécises, qui provoquaient l’extase de mes nouveaux maîtres! Bug est resté imperturbable, quoique gêné par mon état nauséeux. Il adorait rouler.

Puis, j'ai connu avec lui mon premier été à Carnac. A la fin du séjour, il s'en est allé. Je l’ai laissé partir chez le vétérinaire, sans le voir revenir. Ses maîtres ont tiré les rideaux à leur retour. Leurs yeux les brûlaient.

Egoïstement, je questionnais mon destin. Le chat ne pouvait pas me sentir. La drôle et Gaston (il m'a bien fallu leur trouver un nom) ne chassaient pas. Le motif principal de mon adoption avait disparu, réduit en cendre. 

Le lendemain, je compris qu’une nouvelle mission m’était confiée.

Le jour à peine levé,  la Drôle ne pouvait pas se retenir: il fallait qu'elle parte en promenade et qu'elle goûte sans attendre l'air nouveau. Les promenades matinales ne venaient donc pas satisfaire seulement les besoins du bon vieux Bug. 

Chaque matin, il est impératif de la sortir, quelque soit le temps, et je m'acquitte de cette nouvelle fonction parfaitement. J'ai même cru pouvoir l'initier à la chasse mais ni les mouettes, ni les canards ne l'intéressent. Parfois encore, je reste comme un idiot, assis à ses pieds, à attendre ses instructions. Vas y, va chercher le coin-coin! Mais rien...J'y cours quand même.

J'ai pleinement accepté la perte de mon bon ami. Mon humeur n'est jamais à la nostalgie. Nous les bêtes, nous sommes très familiarisées avec le cycle Vie/Mort/Vie. 

C'est pourquoi notre vie est bonne, en général, car elle accueille beaucoup en ne s'obstinant pas à être sélective. On prend ce qui vient et on accepte ce qui meurt, pour donner une chance à ce qui doit arriver. 

C’est donc ça, mon bon ami, ta dernière volonté ?  Que je ne m’éloigne jamais trop de cette évidence, en m’incrustant chez toi ? 

Nous avons été, sommes et serons toujours des chiens sauvages et innocents. Je ne l’oublie pas.

Au fait, je m'appelle Garou et mon nom fait trembler tous les canards de Versailles.