lundi 21 avril 2008

Complice ou repentie?


Les fondations,
1950

Mon épais pelage ne m'aura pas protégé longtemps contre les ronces vivaces et farouches. Des fils invisibles et coupants freinent ma progression dans cette végétation abandonnée.

Et pourtant, je ne viole aucun sanctuaire, si ce n'est celui de l'enfance.

Peu importe. Je n'ai peur de rien, ni même de la nostalgie que l'on croit si douce.

J'arrive enfin sur les dalles en pierre, grignotées par les pissenlits.

Le laurier embaume toujours autant. Pris d'une euphorie soudaine, je me roule sur un carré d'herbe jaunie d'où je contemple, à la renverse, le pommier du Japon.

Un bourdon me taquine le museau.

Je crois voir un volant de badminton fendre l'air. Un avion me survole, comme il l'a toujours fait au-dessus de ce jardin. Avant, l'on voyait même le concorde. Les nuques des enfants se tordaient pour ne pas perdre une miette de ce spectacle majestueux.

Je l'entends s'agiter à l'intérieur, à essayer d'ouvrir un tiroir en bois qui résiste, gonflé par le temps, figé par l'oubli.

Elle revient, victorieuse, avec un paquet de cigarettes à moitié moisies - la pleine satisfaction d'un ancien interdit transgressé-

Je n'ai pas de passion particulière pour le tabac. Une fois, juste avant de déclencher une bagarre avec Spartacus, j'ai mâchouillé devant lui un mégot de cigarette, par pure provocation.

J'en garde un souvenir mitigé. C'est très difficile d'impressionner Spartacus. Son maître se plaît à raconter qu'on a déjà trouvé dans ses déchets intestinaux une paire de chaussettes et une languette de chaussure. Il est vrai qu'en comparaison, un mégot de cigarette ne pèse pas bien lourd.

C'est bien un avantage chez les chiens que de pouvoir laisser choir au coin d'une rue ou au pied d'un arbre les noeuds qui pèsent anormalement sur l'estomac (je n'ai jamais prétendu être poète). Chez les humains, le processus d'assimilation me semble beaucoup plus complexe.

Mais j'ai le sentiment de m'être légèrement éloigné de mes pensées premières.

Le soleil est revenu. On est tellement mieux dehors, à chauffer sa couenne et surtout à ignorer le crissement des meubles qui traînent lamentablement sur le parquet, résistant de tout leur poids à l'expulsion.

Elle préfère ne rien voir, ne rien entendre mais cela ne change rien: en droit, cela signifie être complice par instigation.

Complice de quoi? Sans doute de ne pas être à la hauteur des attentes des anciens, voire même de saboter les efforts de toute une vie.

On a déjà si peu de temps pour réaliser ses propres ambitions... Qu'auraient-ils pu faire de cette maison déjà à moitié dévastée? Un maillon précieux de la chaîne des générations a sauté trop vite. L'abandon prématuré de ce lieu est là pour le rappeler.

Les parents ne devraient rien construire pour leurs enfants, ne nourrir aucun projet pour eux.

Voici une bien étrange façon de les remercier. Pour un peu, on les rendrait coupables de ce bonheur passé au goût de gelée de groseilles, on leur en voudrait de nous avoir laissé butiner ce pied de cassis et de nous avoir livré ce grand cerisier qui apparemment ne s'en est jamais remis. Ses branches ont l'air aujourd'hui si tristes et fatiguées. Le bois s'effrite. Il est creux, comme rongé de l'intérieur.

Et pourtant, la maison est toujours aussi belle. Dans ses entrailles, elle renferme encore ces odeurs mêlées de roses et de bois coupé. Sur le petit tableau noir, à côté du sécateur, une inscription à la craie n'a jamais été effacée. Qui osera effacer ces mots? Personne n'en prendra la peine...ils faut croire que les mots nous survivent, qu'on leur accorde de l'importance ou pas du tout.

Qu'il est facile de regarder tout ça avec une infinie tristesse!

Qui suis-je, moi, petit basset insignifiant, pour me répandre ainsi et verser dans les états d'âme d'une enfance que je n'ai jamais connue et que je m'empresse d'idéaliser? Eh bien, je suis un chien qui suit sa patronne, jusque dans ses doutes.

Je suis doué d'une empathie exceptionnelle. Ce qui se passe dans le coeur des hommes, je le comprends plus que quiconque.

Si je me couche à ses pieds, silencieux et soupirant, c'est que j'ai une bonne raison de le faire.

Je suis un drôle de cabot qui attend que tristesse se passe car j'ai bien compris que même la nostalgie est un sentiment éphémère.

L'essentiel, c'est d'avoir toujours de l'énergie et des rêves à revendre. Mais là, on va dire que je radote. Et alors? C’est le privilège de l'âge, non? J'ai quand même 10 ans (*)!
(*): 10 ans = trois générations canines

lundi 7 avril 2008

Petit, je craignais de changer de dimension

Matinée du 7 avril, promenade enneigée,
dans une autre dimension

Il existe une autre dimension, par delà celle des hommes. Une dimension aussi vaste que l'univers et aussi intemporelle que l'infini. Elle s'étend aux frontières de l'ombre et de la lumière, de la science et de la superstition, elle transcende toutes nos peurs et dépasse toutes nos connaissances.

Et nous voilà repartis pour un aller simple! Titititi titititi titititi titititi PAMPAM!

Pourquoi faut-il qu'il pleuve...Pourquoi faut-il qu'elle meuble ce sombre après-midi à visualiser l'intégralité de la Saison 1? Une série vieille d'un demi siècle!

Cette musique finit par me mettre à crocs.

A 17h00, chez Madame Josette, nous ne partions pas aux confins des ténèbres. A cette heure là, nous avions le bon goût de prendre le thé.

Je deviens vaguement nostalgique.

Apprêtez-vous à entrer dans une nouvelle dimension qui ne se conçoit pas en terme d'espace mais où les portes entrebâillées du temps peuvent se refermer sur vous à tout jamais.


Mais qu'elles se referment une fois pour toutes, nom d'un chat! Je n'ai jamais autant aspiré au repos. Titititi titititi titititi titititi PAMPAM!

Je vois bien que même le chat a les yeux révulsés.

Je vous présente James W Corry.

Son univers: une cabane et une vieille voiture rafistolée qui ne peut l'emmener nulle part parce qu'il ne peut aller nulle part.

Pour votre information, James W Corry est un criminel en train de purger sa peine. Il devra passer l'intégralité de sa détention sur cette planète isolée, véritable prison à ciel ouvert, à 9 millions de km de la terre.

Vous avez devant vous un homme confronté aux rigueurs du soleil et du froid...Un homme qui se meurt de solitude.

Là, je commence à me sentir mal à l'aise: Il n'a même pas un drôle de chien-chien pour lui tenir compagnie?

J'ose à peine regarder ces images sinistres car la solitude ou la simple évocation de la solitude m'est rigoureusement contre indiquée. Le vétérinaire l'a bien dit: je fais de l'anxiété de détachement.

C'est comme une sorte d'allergie.

Rien que de voir ce bougre en train de faire une partie d'échec contre lui-même, j'ai des bouffées de chaleur et surtout, une irrépressible envie de réduire en miette la garniture du canapé (c'est un symptôme habituel pour les chiens souffrant d'anxiété de détachement)

Le premier tableau de chaque épisode présente le plus souvent une scène d'une singulière banalité et l'atmosphère n'en est que plus inquiétante.

Le sentiment d'isolement est encore plus effroyable lorsque l'individu s'obstine à l'ignorer, ou lorsqu'un triste pantin se trouve à évoluer dans la foule, une foule mobile, toujours affairée à ses activités quotidiennes.

Pourtant, cette foule ne vous paraît pas froide et insensible; Elle est même souvent humaine et pleine de bonne volonté.

Simplement, un être va lui échapper totalement.

Elle n'en a pas conscience et n'en aura jamais conscience, contrairement au protagoniste principal.

C'est bien le ressenti de ce décalage qui est insupportable, d'autant plus insupportable qu'il ne conduit pas à la folie: la victime aura jusqu'à la fin conscience d'avoir été projetée, de façon irréversible, dans un univers fait de solitude et de néant, un univers que côtoie notre quotidien sans ne jamais le rencontrer.

Ce voyageur solitaire finira par avoir le sentiment de n'avoir jamais existé.

L'enfer de l'isolement, qui renvoie à la négation de l'existence, n'épargnera pas non plus ce passionné de lecture qui n'aspirait paradoxalement qu'à une profonde solitude.

Ce personnage se réjouit d'être le seul survivant de la bombe atomique car celle-ci a épargné également une multitude d'ouvrages que la bibliothèque nationale, sinistrée, a recrachés.

Un autre miracle: toutes les provisions alimentaires sont restées intactes.

Et bien mieux encore: dans ce paysage de ruines, un canapé lui tend les bras.

Mais à peine a t'il le temps de prendre conscience de la réalisation de son fantasme, qu'un drame plus terrifiant que la destruction de la planète survient...

Que va t'il advenir d'un myope qui vient d'écraser bêtement ses lunettes, dans une situation aussi extrême?

On n'a même pas envie de sourire.

La leçon personnelle que j'en tire est qu'un homme privé de sa créativité et de ses rêves est un homme qui subit un sort bien plus redoutable que la mort. C'est un homme condamné à ne vivre qu'à travers les besoins que crée pour lui la société et qui n'est pas armé pour affronter la solitude, recherchée ou non.

Cette série télévisée semble faire de la solitude des hommes une tragédie pas seulement quadridimensionnelle car ces drames silencieux surviennent dans un monde qui nous est très familier. La fiction n'est qu'un simple prétexte, le but inavoué étant de chercher à sonder l'âme humaine, décidément bien ténébreuse, dont le destin ultime semble être de combattre, seule, ses démons. L'homme n'aura d'autres choix que de se trouver, un jour ou l'autre, face à lui-même.

Je me demande si notre agitation souvent fébrile ne vise pas inconsciemment à retarder ce moment, au risque de tomber dans une logique inverse: l'excès de travail et de comportements consuméristes pourraient très bien au contraire endormir et fragiliser les esprits, les laissant encore plus démunis face à l'inconnu.

Lorsqu'elle laisse son esprit vagabonder en pleine journée de travail, ma patronne n'a pas du tout le sentiment d'être improductive: bien au contraire, elle apprivoise autant que possible le néant, et veille ainsi à ne pas sombrer dans la quatrième dimension.

Toute cette démonstration pour en venir à justifier ses périodes d'inertie...c'est un peu tiré par la laisse, enfin je veux dire un peu forcé comme raisonnement...
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Le sixième épisode vient de débuter: Je sais ce qu'il vous faut. Un vieux marchand sympathique et bienveillant vend ce qu'il vous faut. Disons surtout qu'il devine ce qu'il vous faut, mais déjà je retiens mon souffle...je suis redevenu le jeune chiot qui commence à comprendre qu'à l'âge adulte, on ne maîtrise pas plus l'univers.

Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite non seulement de paysages et de sons, mais surtout d'esprit; un voyage dans une contrée dont les frontières sont notre imagination, un voyage au bout des ténèbres où il n'y a qu'une seule destination: la quatrième dimension.