...C'est au Bar Le Bigouden Blues, non loin de la plage, que nous nous retrouvons. Cette région de Bretagne a été désertée en cette fin du mois d'août et Bug a décidé d'y terminer ses vacances, après avoir été cloîtré 10 jours en plein coeur de la forêt de Poigny.
C'est le moment pour lui d'amorcer une réflexion globale et de faire le bilan sur près d'une année de blog.
Pour la première fois, il a accepté un rendez vous avec un journaliste de notre magazine. D'emblée, Bug nous paraît serein et confiant. Son pelage d'un noir intense est pailleté de sable fin. Le sel a laissé une empreinte argentée sur ses pattes qui viennent de goûter à l'écume de l'Océan. Il sent l'iode, les huîtres et le hareng fumé déterré fraîchement d'une poubelle du coin. Cet assemblage d'odeurs trahit la complexité du personnage et son refus de se résigner à ne poursuivre qu'une seule quête.
Et pourtant, la simplicité de sa mise (il ne porte qu'un vieux collier de cuir) et son air débonnaire le rendent immédiatement accessible. Un filet de bave s'étire du coin de sa babine, il se roule par terre: Bug a décidé d'être lui-même.
WWM: Merci d'avoir accepté ce rendez-vous. Tout d'abord, pour tous ceux qui ne connaissent pas encore votre blog, comment le définiriez-vous?
B: Je le définirai comme un outil de promotion canine. Oui, il existe dans mes messages un caractère indéniablement militant et revendicateur.
WWF: Que voulez-vous dire? Vous pensez que la société actuelle ne laisse pas suffisamment de place aux chiens?
B: je reconnais que des efforts sont faits: nous avons nos propres structures pour nos besoins, nos motocrottes, nos pensions de retraite, nos centres de remise en forme, nos psychologues et des rayons entiers dans les jardineries pour notre seul divertissement. Par ailleurs une dizaine de magazine nous sont consacrés ainsi que des émissions télé. Je pense que cela procède d'un engouement relativement récent de la Société pour les pets, mais finalement assez superficiel.
WWM: Pour les pets?...Est-ce votre façon de dire que la société actuelle n'aime à produire que du vent?
B: Non, je parlais des « pets », terme qui désigne les animaux domestiques. Je me suis mis à l'anglais récemment. Je ne pense pas que la société produise du vent avec nous dès lors qu'elle nous utilise pour encourager la propension consumériste des êtres humains. Je considère que compte tenu du pouvoir économique que nous représentons, nous devrions être reconnus à notre juste valeur. C'est le thème de l'ouvrage que j'écris actuellement: décadence et grandeur du monde canin. Je veux redonner ses lettres de noblesse à l'Histoire canine et révéler les véritables enjeux de notre développement.
WWM: L'histoire canine? Vous estimez donc que les chiens ont eux aussi une Histoire? Vous revendiquez une culture?
B: Ce que j'essaie de dire c'est que l'histoire n'est ni plus ni moins qu'une succession de conquêtes, de pertes et de reconquêtes. Les chiens passent leur temps également à conquérir des territoires. Cependant, ils le font de façon plus discrète et écologique. Les jets d'urine n'ont jamais perturbé l'écosystème de la planète. Notre empire s'accroît de jour en jour et nous n'en avons jamais fait tout un roman traduit en cinq langues. C'est manifestement une erreur puisque nous sommes confrontés aujourd'hui à un vide culturel et identitaire. L'avantage cependant de notre hégémonie silencieuse est que rien ne peut venir la contrarier. Saviez-vous que plus du quart des jardins du château de Versailles m'appartient? C'est précisément parce que mon droit de propriété n'est pas connu qu'il n'est pas menacé. Je mériterai donc d'avoir mon nom dans les ouvrages. Après tout, même les chats ont leur Histoire, qui remonte à plus de 3000 ans avant J-C. Certains étaient vénérés en Egypte! Sait-on pourquoi? Leur mystère, leur silence, leur regard glacé? Tu parles! Le seul mystère que je veux bien leur reconnaître est leur aptitude surnaturelle à passer des journées entières à ne rien faire si ce n'est à se lisser les poils. Moi, il faut toujours que je m'occupe, sinon je deviens dingue. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire un ouvrage historique.
WWF: C'est marrant, plus vous dites n'importe quoi, plus votre discours se tient.
B: Vous savez, j'ai longtemps été privé de paroles. J'ai passé la moitié de mon existence à me faire comprendre par des regards insistants, des penchements de tête, et des pivotements d'oreilles. Les gens disaient à mon propos qu'il ne me manquait que la parole. Inversement, je notais que les hommes avaient toute la liberté d'expression souhaitée mais qu'il ne leur manquait que la pensée. Je ne dis pas n'importe quoi. Je travaille à rendre crédible ce qui ne l'est pas; c'est tout de même plus drôle que de donner corps à ce qui existe déjà.
WWF: Vous semblez afficher un certain pessimisme mais on se demande si ce n'est pas par pure affectation. Vous pensez que ça vous donne plus de profondeur?
B: En vérité, c'est plutôt la hauteur que je recherche. Avoir un regard lucide et distancé me donne le sentiment d'avoir les pattes plus longues.
WWF: Vous êtes assez catégorique dans vos propos et vous semblez bien loin du gentil chien-chien du mois d'octobre 2007 qui passait son temps à amuser la galerie. Ne vous prendriez pas un peu trop au sérieux? Vos lecteurs se sont lassés et vous trouvent moins sympathique. Il y aurait même eu quelques crispations avec votre patronne.
B: Qu'est ce que j'y peux, moi, si des milliers de touristes viennent du monde entier pour voir le Château de Versailles et qu'au final, c'est moi qu'ils photographient? Et dans mon quartier, je suis crains et respecté: les commerçants s'empressent de me gratifier de petits présents sans même attendre mes tentatives d'intimidation. Les plus grands s'inclinent devant moi. Il est possible que ma patronne en ait pris ombrage. Cependant, la séparation que nous nous sommes imposée cet été était une décision commune. Je sentais le besoin de m'isoler pendant quelques jours en pleine nature pendant qu'elle avait décidé de vivre les turbulences des sites touristiques. Il n'y a pas eu d'abandon à proprement parler, ni d'un côté, ni de l'autre et j’ai été sincèrement heureux de la retrouver en Bretagne.
WWF: Cela n'a rien à voir avec la belle blonde prise en photo à vos cotés alors que vous « faisiez les courses »? Le sac n'était pas à vous semble t'il et il s'en est fallu de peu que votre patronne ait été déclarée responsable de ce vol à votre place. Heureusement, elle a pu le restituer en parfait état.
B: Je ne vois pas de quoi vous parlez.
Bug traque une puce en m'ignorant. C'est sa façon de me faire comprendre que l'entretien est terminé.
En sortant du bistrot, il retrouve sa bonhomie habituelle. Avec désinvolture, il lève la patte et me lance, blasé: « Voyez, le Bigouden Blues m'appartient désormais. »