samedi 28 janvier 2017

Nouvelle donne




















Avis au lecteur: suite au décès de Bug survenu à la fin du mois d'août 2016, ce blog change de propriétaire.

Votre nouveau serviteur doit vous prévenir : il ne s'épanchera pas sur ses humeurs, réflexions intimes ou autres rêveries qui sont tout autant de prétextes à flatter son ego, et se donner une consistance humaine à laquelle il préfère renoncer tout de suite.

Votre nouveau serviteur aime les canards et entend que ce blog leur soit en bonne partie consacré.

Il aime également qu'on ne le contrarie pas lorsqu'il est sur une bonne piste. S’il flaire du gibier, il sera sourd à tous les appels et rappels, indifférent aux hurlements rageurs ou encore aux supplications incessantes de revenir au pied. 

Cependant, il me faut me soumettre à une volonté, celle de mon prédécesseur qui, dans son testament, a conditionné la reprise de son blog au  "Bon respect de ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera". Quitte à éditer des règles, autant qu'elles soient incompréhensibles et inefficaces.

Ce qui a été...Et ce qui n'est plus donc… A moins que ce qui a été, ce qui est, ce qui sera ne soit une seule et même chose...

Pour moi, les choses étaient bien claires jusqu'à présent, je n'ai jamais suivi qu'une seule piste:

Le secret d'une vie bonne est de savoir reconnaître ce qui doit mourir et le laisser mourir. 

Vous le comprendrez plus facilement à la lumière de mon histoire.

Il y a près d'un an, un cabot errant s'est livré aux services d’hygiène et de salubrité de la commune d’Agen pour intégrer le Service Public de la Fourrière.

Par cet enfermement consenti, il a tué également l’espoir de retrouver le Maître qui avait criblé joyeusement son arrière train de plombs à volatiles, histoire de stimuler son âme de chasseur.

Quelques jours avant sa reddition, il avait reconnu et accepté l’agonie de sa liberté, lorsqu’à se nourrir de glands et de déchets organiques en pleine forêt, ses forces vitales l’abandonnèrent, laissant son instinct le conduire à la ville.

J'ai oublié tout ce qui avait fait de moi un cabot de mon espèce, lorsque je me suis trouvé exilé à l'autre bout du monde, au refuge de Chamarandes, où j'ai rejoint une centaine d'autres loufiots, venus de France Métropolitaine et d'Outre-Mer.

Puis, une drôle s'est présentée devant mon box, le jour même qui suivit mon arrivée.

Elle était alors hésitante car la bénévole ne pouvait lui donner aucune indication sur mon caractère. Or, il lui fallait embaucher un chien capable d’accompagner un congénère dans ses vieux jours. J’ai su ensuite que son vieux chien avait lui-même été choisi 13 ans plus tôt, pour assumer les mêmes fonctions d’auxiliaire de vie, mais auprès d’un vieux père. 

Toujours en présence de la bénévole, Bug m'a été présenté à la sortie du refuge, avec beaucoup de précaution. Il m'a jaugé d'un air las et semblait surtout pressé de reprendre place dans la voiture, tel  un  vieux parrain sicilien qui accorde sa bénédiction à une nouvelle recrue.

Durant un printemps et presque tout un été, Je l'ai suivi dans ses déplacements, ralentis par une arthrose sévère. Nous avons partagé  de bons gueuletons ainsi que les joies quotidiennes des sorties. J’ai imité quelques temps son incontinence, pensant qu’il était naturel de se laisser aller sur le tapis ou un pan de rideau. Il se jouait de mon côté encore sauvage et innocent, non habitué à la vie en appartement mais curieux d'apprendre à ses côtés les bizarreries de la vie citadine.


Nous avons voyagé en touristes, dans le Périgord, au moment des floraisons et des bonnes odeurs. Ce que j’ai pu être malade dans la voiture sur ces petites routes ondulantes et indécises, qui provoquaient l’extase de mes nouveaux maîtres! Bug est resté imperturbable, quoique gêné par mon état nauséeux. Il adorait rouler.

Puis, j'ai connu avec lui mon premier été à Carnac. A la fin du séjour, il s'en est allé. Je l’ai laissé partir chez le vétérinaire, sans le voir revenir. Ses maîtres ont tiré les rideaux à leur retour. Leurs yeux les brûlaient.

Egoïstement, je questionnais mon destin. Le chat ne pouvait pas me sentir. La drôle et Gaston (il m'a bien fallu leur trouver un nom) ne chassaient pas. Le motif principal de mon adoption avait disparu, réduit en cendre. 

Le lendemain, je compris qu’une nouvelle mission m’était confiée.

Le jour à peine levé,  la Drôle ne pouvait pas se retenir: il fallait qu'elle parte en promenade et qu'elle goûte sans attendre l'air nouveau. Les promenades matinales ne venaient donc pas satisfaire seulement les besoins du bon vieux Bug. 

Chaque matin, il est impératif de la sortir, quelque soit le temps, et je m'acquitte de cette nouvelle fonction parfaitement. J'ai même cru pouvoir l'initier à la chasse mais ni les mouettes, ni les canards ne l'intéressent. Parfois encore, je reste comme un idiot, assis à ses pieds, à attendre ses instructions. Vas y, va chercher le coin-coin! Mais rien...J'y cours quand même.

J'ai pleinement accepté la perte de mon bon ami. Mon humeur n'est jamais à la nostalgie. Nous les bêtes, nous sommes très familiarisées avec le cycle Vie/Mort/Vie. 

C'est pourquoi notre vie est bonne, en général, car elle accueille beaucoup en ne s'obstinant pas à être sélective. On prend ce qui vient et on accepte ce qui meurt, pour donner une chance à ce qui doit arriver. 

C’est donc ça, mon bon ami, ta dernière volonté ?  Que je ne m’éloigne jamais trop de cette évidence, en m’incrustant chez toi ? 

Nous avons été, sommes et serons toujours des chiens sauvages et innocents. Je ne l’oublie pas.

Au fait, je m'appelle Garou et mon nom fait trembler tous les canards de Versailles.