mercredi 27 février 2008

Le Dilemne de Mister PATATE


J’ai viré Bug.

Pour une question de chiffre, bien évidemment. Son audience s’essoufflait et il ne remplissait plus son quota de catastrophes matinales. Je reprends donc la gouvernance de ce blog mais j’ai bien conscience que toute acte d'autorité induit des décisions radicales et douloureuses.

Oh bien sûr, il présentait l'avantage de n’avoir aucune exigence financière, se contentant de me réclamer deux fois par jour ses croquettes (Royal Canin, tout de même). Cependant, même la gratuité finit par coûter cher, surtout quand elle ne fournit plus de résultat.

J’ai donc investi dans l’innovation et l’audace afin d’accrocher davantage le lecteur.

Vous avez noté le changement de style?

Un vent de fraîcheur vient enfin de souffler sur mon interface.

Il m'a fallu recourir à des trésors d'ingéniosité pour faire la nique à tous ces nouveaux blogs qui ne demandent qu'à se laisser envahir par des graphismes toujours plus percutants et déjantés.

Mais la concurrence ne me fait pas peur. Bien au contraire, je pense qu'elle est un véritable facteur de progrès et cette réjouissante figure en est l'illustration la plus convaincante.

Je vous présente donc Mister PATATE, le nouveau visage de mon blog, qui atteindra bientôt, je l'espère, la notoriété des Mangas.

Je ne vous cache qu'il m'aura fallu bousculer bon nombre de mes repères esthétiques et mettre à mal mes préjugés pour oser vous présenter ma dernière trouvaille que j'ai mûri en silence, dans le secret d'un huis clos. Mais un créateur doit savoir se mettre en danger et enfanter dans la souffrance.

Mon engouement récent pour Mister PATATE est né, je dois bien l'avouer, d'une frustration trop prévisible, celle provoquée par ce douloureux sentiment de sentir l'inspiration se tarir.

Grâce à cette nouvelle figure emblématique du progrès informatique (issu du révolutionnaire Eee PC Asus), je peux surfer sur une infinité de combinaisons, choisir parmi une dizaine de paire de yeux, que je peux assortir avec des nez et des moustaches de styles très différents, pour multiplier les expressions et réinventer chaque jour mon personnage virtuel.

Les jaloux saisiront cette occasion pour fustiger encore les progrès technologiques et faire de Mister PATATE une nouvelle preuve de l'inanité de la technologie, qui ne serait destinée qu'à mener les populations au crétinisme le plus abouti mais je les mets au défi, ces ronchons sceptiques, de réussir à harmoniser la moustache rousse avec le sourire en biais, sans même recourir au nez en forme de poire.

Ils comprendront alors que ce logiciel est loin d'être aussi puéril qu'ils le prétendent.

La complexité et le génie se nichent dans les jeux les plus innocents.

Définitivement séduite, je vois encore deux motifs supplémentaires de recourir à cet outil de travail stimulant et novateur:

- Amélioration de l'acuité visuelle, par l'exercice d'une gymnastique oculaire pour une adaptation maximale à l'écran 7 pouces.
- Prévention efficace contre l'arthrose des phalanges, à force de formater ses mains à la taille du clavier et se garantir au final la dextérité des mimines d’un enfant de 6 ans.

Enfin, ce véritable traitement anti-âge est accessible à tous, pour peu que les nerfs n'aient pas déjà été éprouvés dans la journée.

Je trouve même l'inconfort anachronique de mon nouvel ordinateur assez émouvante.

La technologie subirait-elle la malédiction des phénomènes de modes: à force de saturation, en serait-elle réduite à stagner ou à régresser? Après l'hyper technologie, renoncerait-on au bluff des machines multifonctionnelles et ultra puissantes pour retrouver les charmes discrets du minimalisme.

Progrès. Regrets. Ces mots pourraient bien avoir la même racine latine, le changement de préfixe traduisant simplement l’hésitation entre l’optimisme et le recul face à la progression.

Plus les possibilités et les choix se diversifient, plus il est tentant d’accéder à un certain dénuement ou de s'imposer un retour à un mode de vie épuré, et de snober ainsi la technologie actuelle et son offre permanente de prestations de services.

Et cette interrogation en soulève une autre: l'accès illimité à la connaissance ne conduirait-il pas, tout autant que l’excès de technologie, à un phénomène de rejet?

La facilité finit sûrement par ennuyer. Seul le secret mobilise. Il suffit qu'un Chef d’Etat démente l'existence d'un texto d’adolescent maladroit pour faire réagir l'ensemble des médias et justifier la saisine d'un juge d'instruction.

Si j'étais ministre de la culture, je créerais des maisons closes de la connaissance avec ses codes et ses entrées privées, juste pour titiller les foules et exacerber les curiosités.

Je mettrais tout sous clef, les philosophes des Lumières, les romans de Stendhal, les peintures de Gauguin, les travaux de Michel Ange, les partitions de Mozart, les paroles de Brassens, la recette du kouign aman, tout ce qui fait la richesse de l'humanité, culturelle ou calorique, jusqu'à provoquer un soulèvement général, jusqu'à entendre des millions de manifestants crier à l'injustice, jusqu'à les voir prendre les armes pour reconquérir ce dont on les a privés injustement et revendiquer la pleine propriété de leur patrimoine culturel.

J'en viens à me demander si la menace et l'injustice, ou plutôt le sentiment d'injustice, ne sont pas les ressorts principaux du progrès humain.

Et pour l'instant, il faut croire que je vis dans la plus parfaite insouciance, loin du danger et des menaces, puisque je mobilise mon intellect à habiller une patate. Je devrais m'en réjouir.

Néanmoins, l’âme humaine est suffisamment complexe pour aimer à se sentir parfois menacée.

Je dois bien admettre que Bug incarnait jusqu’ici, à la perfection, cette notion de péril latent. Ma calamité mériterait de reprendre du service. Mais je dois en parler d’abord à son avocat. Et oui… cette canaille n’a pas perdu de temps…

vendredi 8 février 2008

Mon fabuleux destin


L’histoire, elle commence toujours bêtement avec moi. C’était un 10 avril 2003…
Euh, non… ça fait un peu redite.

Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’histoire de mon ascension fulgurante, moi, ingrat petit basset, misérable orphelin honni de sa famille d’accueil et recueilli dans les refuges de la SPA…

Aïe, faut-il absolument que je la connaisse, cette angoisse de la page blanche ! Mais comment parvenir à retracer mon extraordinaire destin, comment témoigner et transmettre aux jeunes générations le goût de l’effort et leur inculquer cette farouche volonté d’y arriver?

Nous sommes un 10 avril 2003, un sombre après-midi.

Vingt trois congénères partagent ma ratière, dressée à l’extérieur, en pleine forêt de Plaisir.

Il pleut des cordes et je continue à m’embourber dans la glaise. Cette lanscaille me pèse. Elle fait de la terre une mélasse que j’ai peine à balancer. Faut pourtant que j’avance ma percée sous le grillage.

Le ciel est bas. Je profite des hurlements et de l’agitation des autres taulards pour taquiner le terrain.

Je me sens les quilles en marmelade mais je m’acharne. J’sais pas ce que c’est que d’avoir du sang de navet.

Pourtant, la maison est régulière. Elle mérite pas que je lui fasse le coup de la fille de l’air. Je copine avec tous les gonzes. Je suis entouré d’écorchés vifs, de chiens humiliés, de bêtes détraquées ou mélancoliques, de drôles de foireux et de vilains traqueurs. Y a même un Loulou de Poméranie.

On a subi suffisamment de morsures dans notre vie de pouilleux pour ne pas être tentés de se dégommer, dans notre abri crapoteux.

J’sais bien que les loufiots de la SPA ont une bonne bouille et que la graille est correcte. En plus, je suis bien soigné.

Je continue pourtant à faire mon trou, uniquement pour ne pas me barrer en brioche. J’ suis pas du genre à m’endormir sur le rôti.

On reste des taulards et on doit se comporter comme tels. Si on me fait bouffer de la taule, c’est pour que j’apprenne à m’arracher. Pour déboucler un coffiot, faut déjà qu’il soit bouclé, non ? Pour goûter aux joies de la cavale, fallait bien que je connaisse le mitard.

Mes cops s’énervent et sont divisés sur mes projets. Ça jacte dans tous les sens. Qui va suivre ? Qui va moucharder ? L’angoisse d’une nouvelle solitude étreint les froussards. Les paranos soupçonnent un coup d’arnac. Les bulleurs finissent s’impatienter « On jaffe quand dans c’te tôle ?»

Je continue à me défoncer, les pattes dans la gadouille, pour ne pas terminer fêlé. J’ sais bien qu’à la fin, ils finiront tous par ramener leur barbaque. Faut bien sauver ses côtelettes.

Soudain, les aboiements s’interrompent. Ça sent la dirlo. Elle se tient devant nous, la rombière, scrutant l’intérieur de la cellule. Nous sommes à ciel découvert mais il est couvert, justement, le ciel. Il fait glauque. C’est ma veine. Ce n’est pas le moment de se faire serrer.

Je distingue deux silhouettes aux côtés de la mégère, l’une grande et carrée, l’autre petite et frêle.

Tous les ratiers, sans exception, se jettent aveuglément sur le grillage et rivalisent de pirouettes. C’est un réflexe de survie qu’ils ont acquis au bout de quelques semaines: emballer le badaud pour gagner sa confiance et sa protection.

Pendant qu’ils se croient tous à la Star Ac et qu’ils balancent leur numéro, je couvre au mieux mon pauvre ouvrage et je me fonds dans le décor.

La gringalette me grille et elle me fixe maintenant en riboulant des calots.

Il faut que je donne le change, immédiatement…

Un seul réflexe me vient : je m’assieds et je baille.

Je suis marron… y a un truc qui la turlupine : “ C’est normal, qu’il ait les pattes retournées, ce chien ? ” J’essaie discrètement de faire converger mes orteils “ - Vous parlez de Stroumph ? Oui, oui, c’est sûrement ce qu’il y a de plus normal chez lui... ” “ - Il a l’air calme en tout cas par rapport aux autres, c’est ce qui compte…c’est pour mon père qui est âgé ; je veux juste un chien facile à vivre, pas un hyperactif”.

Le drôle de zig, à ses côtés, a l’air méfiant : “ En réalité, on vient juste pour voir, on ne ramènera pas de chien aujourd’hui et ce d’autant que le futur maître n’est pas encore au courant ” « -… » “ -Il aboie ? ” “ Oh non ! vous savez c’est un chien tranquille ; un vrai tire-au-flanc. Mais vous êtes sûre que votre père veut un chien ? ” “ – oui, il aime bien les bêtes. », le frangin : « - ce qu’il aime moins, ce sont les surprises… ”

Voilà comment je me suis trouvé dans la tire du grand mec, sur fond d’engueulades.

Apparemment, ça ne le réjouissait pas d’être complice malgré lui de ce traquenard. C’était vraiment une écervelée, elle se conduisait comme ces irresponsables qui craquent pour un pôv clebs et le balancent ensuite sur le bitume, à la première occasion.

De son côté, elle prônait les bienfaits insoupçonnés qu’un drôle de cabot pouvait apporter à un être démotivé, usé. Elle parlait comme ces jaspineurs de baveux ou de politicards. Et déjà, ça commençait à déteindre sur moi.

Bref, j’ai tout de suite saisi la mission dont j’allais être investi: accompagner un être humain dans son apprentissage de la solitude. Je n’étais donc pas un chien de compagnie mais un “ chien d’accompagnement ”, ce qui induisait un rôle beaucoup plus actif et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait. Il fallait intervenir là où les autres avaient échoué.

Mais, tout çà, je m’en fichais un peu car je n’arrêtais pas de penser à mon tunnel que je n’avais pas fini de creuser. Ce sentiment d’inachevé me rendait dingue. Il se mettait à nouveau à pleuvoir et la terre allait s’affaisser. Tout serait à refaire.


Et puis surtout, ça me troublait, ce choc des cultures. J’en perdais progressivement mon langage si fleuri.

Pendant ce temps là, ils continuaient à s’engueuler mais de façon plus joyeuse : il fallait me trouver un nouveau nom. Elle trouvait “ Stroumph ” trop réducteur. Les noms de Rambo et de Zorro ont été suggérés par le grand mec, que je trouvais au final plutôt marrant. Fatigué, j’ai réagi mollement au nom de Bug mais ça leur a suffit. Ils ont opté pour Bug.

C’est vrai que Bug, c’est beaucoup moins réducteur.
[150 pages plus tard]

que tout le monde se retournait derrière moi. Moi, je courrais comme un dératé, la barquette de bifton entre les crocs, bien serrés. Ça commençait à sentir le roussi. Les gens du quartier encourageait « super Jaimie » (c’est le surnom que je lui donnais au départ) dans sa course surnaturelle. J’ai viré à droite et je me suis propulsé dans la brasserie de la place de la Cathédrale. Ça devait faire six mois que je n’avais pas mis les pattes dans un troquet. J’ai compris que cet endroit allait devenir la planque idéale pour…
[213 pages après]

C’est là qu’elle m’est apparue. Une belle blonde bien en chair. Elle avait une robe soyeuse et nuancée. Elle sentait l’herbe fraîchement coupée. Au garot, elle devait bien faire soixante centimètres. Son stop mettait en valeur une large gueule carrée. Et ses guiboles étaient impeccablement poilues jusqu’aux ongles, taillés comme des accroche-cœur .

Je me suis grandi autant que j’ai pu. En redressant les oreilles, je pouvais facilement gagner trois centimètres. Elle s’est retournée à nouveau et a dodeliné de la croupe. On s'est compris. Il ne restait plus qu’à se soustraire à la surveillance des cerbères.

[207 pages plus loin].

et s’habituer maintenant à ce qu’on m’appelle Louis XV, avec cette déférence emprunte d’admiration et de profond respect.
[Et enfin, la conclusion]

Je suis devenu plus populaire qu’un candidat aux municipales. J’ai entendu dire qu’un chien n’avait pas de statut et qu’il était inéligible. Vous croyez que ça va m’arrêter ? C’est mal me connaître. L’ambition et le travail acharné, c’est l’histoire de ma vie.

Il m’a fallu 574 pages pour comprendre que je dois ma destinée à une volonté hors norme et à un courage ineffable, moi, petit morveux né dans la rue ayant grandi avec les parc-mètres. J’en ai arrosé des pneus et éventrer des sacs poubelles, avant d’en arriver là.

Cependant, être un gagnant ne s’improvise pas. C’est pourquoi j’ai écris ce livre. J’ai voulu partager avec vous les clefs de ma réussite.

Car il ne faut pas oublier une chose : ce destin exceptionnel, je l’ai forcé de façon insolente.

L’attitude du battant, il a fallu l’adopter dès le départ et depuis, elle est devenue un réflexe.

Chaque fois que je devine l’adversité, chaque fois que je renifle le danger ou les embrouilles, j’adopte inlassablement la même stratégie, car c’est la seule qui ait fait ses preuves.

Je m’assieds et je baille.

mardi 5 février 2008

Bille en tête









Il m’accompagne dans les endroits les plus austères, les plus solennels et quand je le presse entre mes doigts, ce bon génie imagine instantanément mon évasion, dans la plus parfaite discrétion.

Lui seul parvient à saisir ma quête de grands espaces et de voyages irréels. Je me demande parfois si l’encre de mon stylo n’a pas des effets hallucinogènes car j’en deviens de plus en plus accroc.

Par bonheur, si l’overdose survient, elle est inoffensive : elle laisse tout au plus une surcharge d’encre, un pâté inesthétique, au pire, un texte indigeste.

Souvent, une simple « ligne » me permet d’effectuer une courte virée, certes, mais lointaine et toujours dépaysante. Ça peut durer un quart d’heure, au plus une demi-heure mais ces minutes ont le charme des instants volés, durant lesquels je garde la pose de celle qui réfléchit à une redoutable stratégie de défense alors qu’en réalité j’ai déjà fugué, à la recherche du pays où l’on n’arrive jamais.

Au début, gagnée par l’impatience, je laisse mon stylo zigzaguer nerveusement sur un brouillon, simplement pour meubler l’attente, trop fréquente, puis il définit des carrés, des ronds et enfin des courbes plus précises. A la fin, j’en arrive à espérer quelques minutes de plus, juste pour lui laisser le temps de parfaire le paysage qu’il esquisse pour moi, de façon plus ou moins inspirée.

Avec lui, je fais mieux que travestir la réalité, je la transcende, par le dessin mais également par l’écriture.

Mes états d’âme ne comptent pas vraiment. Mon écriture peut être sombre quand je suis heureuse ou légère quand les choses me deviennent pesantes. C’est surtout lui qui décide.

Tiens, là par exemple, j’étais décidée à rédiger un texte drôle à partir de ce dessin sympathique qui fait de moi une rebelle fugitive fonçant bille en tête, sous le regard inquiet de son chien, et puis finalement, il me souffle d’écrire sur lui, mon stylo.

Vous parlez d’un sujet ! Il veut nous voler la vedette maintenant, à mon chien et à moi, nous, les supers héros de ce blog ! j'ai réussi à admettre que mon chien puisse me faire de l'ombre mais un stylo bic! il y a des limites à l'humilité...

Ah oui…vous vous demandez sûrement ce que j’ai fait de mon chien… Bug est en panne totale d’inspiration. Je suis chargée de meubler son blog car il ne veut pas que son silence nuise à « la fidélisation de sa clientèle », comme il dit (il considère ses chers lecteurs bizarrement, je trouve).

En réalité, il goûte à de drôles de transports lui aussi, pas au transport de stupéfiants, thème principal de l’audience de ce jour, mais aux transports de l'amour (Ah! l'Amuuur!). Ça le rend un peu moins vivace. On peut même dire qu’il est prostré. Je préfère encore quand il fait des conneries.

Encore heureux que l’inspiration, j’en ai pour deux, surtout quand je n’ai rien à dire.

Lorsque nous sommes à court d’idées, mon stylo et moi, nous restons tous les deux songeurs, silencieux, mais ça ne dure pas bien longtemps car s’il veut échapper à mes mordillements agacés, il doit réagir vite.

Parfois, il prend lui-même le contrôle et je m’essaie alors à l’écriture automatique. Le fruit de notre collaboration reste toujours secret. De toutes les façons, cet assemblage insolite de mots est indécodable.

Et puis, malheureusement, il finit toujours par s’user.

L’encre qu’il verse pour moi sèche ou se raréfie. Son ardeur diminue.

Alors, je le trahis sans une hésitation, en livrant son tracé imparfait à l’efficacité redoutable de mon vieux Toshiba Tecra 8100 qui avale chaque mot, chaque virgule, chaque espace, pour les soumettre systématiquement au test infaillible du vérificateur d’orthographe.

Les mots non référencés par Microsoft sont supprimés froidement, ceux qui ont quelques lettres en surcharge sont sectionnés, et enfin les mots qui n’ont pas soigné leur terminaison, font l’objet d’un remodelage de la dernière syllabe. Le diktat de la chirurgie esthétique règne partout.

Quant aux mots suspects, difficilement identifiables, ils sont soulignés en rouge, comme marqués au fer. Une vraie dictature.

Et pourtant, comme tout le monde, je cède à l’efficacité de cette politique sécuritaire et préfère désormais le clapotis sec et intransigeant des touches de mon clavier au cheminement indécis de mon stylo.

Le glissement intime de sa bille sur les lignes de mon papier d’écolière ne laisse subsister qu’un léger regret.

Le papier se perd, se froisse ou se déchire.

L’encre pâlit.

Nos émotions aussi, me dit-on… Mais alors, que restera t’il ? Peut être cette belle phrase d’Arthur Golden :

Aujourd’hui, je sais que notre univers n’est pas plus réel qu’une vague qui se dresse à la surface de l’Océan. Quels que soient nos luttes, nos triomphes, quelle que soit la façon dont ils nous affectent, ils ne tardent pas à se fondre en un lavis, à s’estomper, comme de l’encre diluée sur du papier (Geisha, Epilogue)

J’aurai pu trouver une pensée un peu moins fataliste pour commencer cette semaine, mais la beauté d’une phrase, qu’elle soit légère ou grave, pertinente ou non, mérite toujours d’être partagée.