lundi 23 juillet 2018

Les voyageurs du temps évaporé

Natacha, Emmanuel et Apache


Un petit bonjour via le blog de mon chien, et merci à vous de m'avoir expliqué votre passion!

Grâce à vous, je réalise que mon bescherelle est incomplet. IL me manquait de connaître le futur du passé, dans lequel vous vous aventurez, accompagné de votre chiwawa couleur merle (suffisamment étonnant pour que je n'oublie pas de le noter).

Apparemment il a bon flair puisqu'il vous ramène toujours au présent.

Espérant vous croiser à nouveau à la pièce d'eau,

Longue vie aux vaporistes!

Chantal








vendredi 13 juillet 2018

Punks à chiens



« Casse-toi de là, t’es pas de ma bande !».

Entre chiens, il est des belles histoires d’amitiés qui commencent ainsi.

On se renifle, on grogne, on se livre combat jusqu'à en faire hurler d’effroi et de rage nos gardiens puis, lorsque les maîtres respectifs commencent à leur tour à s’entretuer, on est déjà occupé à autre chose.
Chez les canidés, la colère s'éteint une fois qu'elle est consommée.  Elle est interprétée à tort comme un instinct irrésistible de domination. En réalité, je me fiche bien d'avoir l'ascendant sur un congénère. Ce n'est certainement pas le sentiment de toute-puissance qui fait se dresser sur mon garrot une crête poilue.
La violence canine n'est qu'une espièglerie de nos gênes, une survivance de notre ancêtre commun, le loup; elle est aussi démonstrative que superficielle, et n' a  que pour seul mérite de rappeler notre capacité à survivre en milieu hostile.

Voilà pourquoi les punks s'attachent à nous. L'iroquoise agressive qui se dresse au sommet de leur être est tout autant que notre crête de poils, un signe de résistance face à  une société pas toujours très amicale,  qui voudrait discrètement étouffer les singularités de chacun sous un conformisme social évident, bien que mal assumé.

La particularité de la violence humaine est que, bien souvent contenue, elle se manifeste subtilement, ce qui ne la rend pas moins tenace.
Voici un exemple qui m'est bien familier: parmi les promeneurs de chiens, la confrontation peut commencer par des échanges sur le "savoir-éduquer" plutôt courtois. Les leçons d'éducation et de savoir-vivre réciproques pourraient être même profitables si elles n'étaient pas, très rapidement, prêchées de façon de plus en plus vexatoire: "On ne vous a jamais dit d'attacher votre chien?!", "faut savoir anticiper, vous savez bien que votre Brutus attaque tout le monde!", "Vous n'avez donc aucun contrôle sur votre propre chien?!".

Vient ensuite la parole irréparable, le diagnostic définitif lancé par l'un comme une attaque ultime, et reçu par l'autre comme une blessure profonde: "Allez donc voir un comportementaliste!". 

Aucun coup n'a été porté, aucune canine n'a été enfoncée dans la chair tendre et pourtant...

Il n y a rien de pire pour un maître de chien que d'essuyer un tel affront. C'est comme si vous suggériez à un automobiliste de passer son permis.

Que l'homme conduise une voiture ou son chien, il pourra trouver là prétexte à querelle féroce, libérant enfin son crocodile.  Les querelles d'hominidés sont bien plus redoutables qu'une chamaillerie entre cabots, et bien que les causes en soient le plus souvent futiles, elles peuvent s'inscrire durablement dans leurs histoires personnelles et même collectives jusqu'à en devenir une violence institutionnelle.

IL est une évidence que chez nos amis les hommes, la violence devient un mode de fonctionnement tout à fait acceptable dès lors qu'elle est codifiée au moyen de textes rigoureux.

La violence en entreprise est une bonne illustration de ce mode de fonctionnement; elle s' organise innocemment autour d'une simple lettre, destinée à banaliser l'étiquetage, à tous les étages, des dominants et des dominés. 

Je suis un chien et mon maître est mon maître. Pas de tabou entre nous. Point besoin de recourir pudiquement à la lettre N augmenté ou diminué d'un chiffre pour rappeler discrètement mais sûrement le degré que nous occupons au sein d'une hiérarchie.

Les humains donnent en revanche beaucoup de force et d'évidence à ce qu'ils ne veulent surtout pas nommer. C'est tout le paradoxe. La hiérarchie et l'autorité ne figurent pas dans les principes constitutionnels, bien qu'elles soient le fondement même de toute société, loin devant l'égalité et la fraternité.

L'égalité et la fraternité, c'est pour les chiens, et nous nous en montrons dignes chaque jour.  IL ne nous manque que la liberté et non la parole!

L'ambition secrète de tous les chiens est de faire de leur maître des êtres libres afin  que nous puissions profiter de cet état, par "ruissellement". Ainsi, tel des héros anonymes volant au secours de l'humanité, nous aurons réuni les trois éléments qui incarnent complètement et fidèlement la devise nationale.

Il y aura bien des rabats-joie pour soutenir que les chiens ne font naître que des contraintes et conduisent même leur propriétaire à l'asservissement.

Pensez-vous qu'un punk entre en partenariat avec un chien pour s'imposer des contraintes? Il font de nous les compagnons idéaux de leur liberté, et nous dispensent même très souvent de collier. Il n'y a que les humains domestiqués pour accepter de voir le principe de liberté tenu en laisse.

Moi, Garou, prend l'engagement devant vous de faire de ma drôle un être libre, indépendant et fraternel! Le défi est de taille. Pour s'en rendre compte, il suffit de la surprendre en train de vociférer à l'encontre des pic-niqueurs soupçonnés de répandre leurs déchets sur le sol (ce que je trouve plutôt charitable en ce qui me concerne).

Fort heureusement, il y a "la bande", la bande des autres punks et de leurs chiens qui font de notre territoire, la pièce d'eau des Suisses, un lieu dédié à la fraternité et à la désobéissance. Il faudra un jour que je vous parle de l'intrépide Jupiter, la provocante Boulette dite 'Bouboule" ou encore "Peau de Poulet", l'indomptable Marley, le noble Ghandi, les inséparables Nala et Never, les élégants Ménélick et Houadi, le bout en train Charo, la belle nageuse Mia et tous ceux que je croise moins souvent. 

Leur cri de ralliement: Ni brutes, ni soumis.

Dans notre meute, nous sommes tous égaux et solidaires dès qu'il s'agit de désobéir et de bafouer les codes de bonne conduite. Boulette est la plus revendicatrice: elle est capable, par une seule action, de braver tous les interdits en se roulant dans l'eau marécageuse, en même temps qu'elle avale du film alimentaire.

Une vraie punk.

C'est tout une philosophie. Nous ne désespérons pas de voir nos maîtres devenir nos disciples et accéder ainsi au Nirvana de la désobéissance, de la joie et de l'équanimité.

Nous sommes confiants. Dernièrement, ils ont investi effrontément la place publique, au pied d'une cathédrale pour y faire banquet et se disputer la baballe autour d'un mini porcelet de ce que j'ai cru en comprendre. Y a de l'idée.

Je trouve tout de même que leur iroquoise prend beaucoup de temps à pousser, mais Ghandi, le plus sage d'entre nous, m'a expliqué que c'est justement le signe d'un travail qui se fait en profondeur.

Longue vie aux punks à chiens!

Jeunes punks sur la place publique à la crête non encore formée


































dimanche 11 mars 2018

A la croisée des destins





Je suis au repos. 

Un large sapin me protège d’une neige épaisse et tendre qui, quelques secondes plus tôt, n’en finissait pas de m’aveugler, obstruant mes yeux et glaçant mon museau.

C’est pour cette unique raison que je ne les ai ni vus, ni sentis venir.

Un, deux...ils me faut les compter par paire. Six attelages glissent à vive allure sur cette même crête que j’ai empruntée en début d’après-midi, avec l’innocence du paisible chien qui ne sait pas renoncer à une promenade digestive.

Celui qui, le premier, a dirigé vers moi une mâchoire menaçante s’appelle Togo. C’est ce que j’en ai retenu à entendre hurler les deux enfants accrochés à leur attelage et pourtant impuissants à retenir la bête. Togo s'élançait vers moi ignorant les appels à l'ordre de ses passagers. 

Après avoir identifié le monstre comme étant un Malamute de l’Alaska, ma drôle a joint ses cris à celui des enfants et m’a projeté sur le bas-côté pour entreprendre de me hisser le plus haut possible mais elle n'a pas l’entraînement d’un chien de traîneau. Et il me plaît toujours de résister à l’autre bout de la laisse.

Le frangin est intervenu ; il ne s'est pas démonté et a brandit ses deux bâtons de skieur de fond avec l’assurance d’un Samouraï. Un gars du coin s'est joint à la fête pour s’interroger, flegmatique, sur la probabilité que Togo parviennent à balancer le convoi et son contenu gesticulant, à travers les sapins.

Protégé par ce solide bouclier humain, je me suis autorisé à exprimer mes protestations d'usage, et à faire goûter à ce bon Togo toute la puissance de mes cordes vocales. On ne m’appelle pas Garou pour rien. Tous ont observé que cette étonnante initiative a eu pour effet d’attiser les nerfs, à l’évidence fragiles, du second partenaire de trait.

Je n’ai pas bien saisi le nom de ce congénère, mais il devait rimer avec Fiasco. Alors que les enfants, résignés, se préparaient à une propulsion imminente, le meneur de chiens se décida enfin à apparaître et, en une seule injonction - « A ta place Togo! »- rendit les montagnes à une paix immaculée et un silence miraculeux.

Je n’entendais plus que ma drôle haleter jusqu’à reprendre son souffle. Le samouraï et le savoyard dissertaient déjà sur l’enneigement exceptionnel de cet hiver.

De mes hauteurs, je suivais du regard les attelages s'éloigner sereinement et à bon rythme, comme après une escale ravigotante.

J’interrogeais le sapin, le ciel, et les nuages. Ma vie est à ce point tranquille que rien, absolument rien ne peut en troubler profondément le cours. Je m’expose, je provoque, j’aboie...et la caravane finit toujours par passer. Je croise un destin fabuleux à en couper le souffle, le frôle, hésite presque à le caresser dans le sens de l’échine mais toujours, une laisse me retient ou me sauve.

Je ne serai jamais chien de traîneau. Je n'en ai ni l'endurance, ni la musculature. Personne ne m'a appris à réguler la température corporelle pour résister durablement au froid, et mon mental n'est pas préparé à la rudesse des grands espaces de solitude. Dois-je pour autant choisir de vivre en modeste animal de compagnie, occupé principalement à mendier carresses et croquettes dans le cocon d'un foyer réconfortant?

Je décrétais que mon destin était de n'en choisir aucun, si ce n'est celui d'en croiser pleins d'autres, sur ce petit chemin serpentant entre les sapins.

Pourquoi devrais-je attendre le Crépuscule pour vivre entre chien et loup?

"Pourquoi?!" reprit, scandalisée, ma Drôle. "Mais parce qu'à ne choisir ni l'un ni l'autre, tu vas finir en marmotte!"


Garou, ou le destin exceptionnel d'un beagle croisé avec un épagneul breton
et une marmotte des Alpes du Nord