mardi 5 mars 2019

Oser le changement





Récemment encore, je conversais avec moi-même sur le caractère énigmatique de la formule « Osons le changement », invoquée depuis peu, tel un mantra obsessionnel, par ma maîtresse qui se trouve être également mon Maître à penser, à son insu.

Sa nouvelle philosophie, si j’ose dire, s’est traduite d’abord prudemment par le changement des housses de coussins ornant le canapé. Puis, la housse du canapé elle-même est passée du bleu/gris au rose corail pour disparaître sous un jeté de faux mouton dont raffole le faux animal de compagnie, le chat. Un grand tapis en toile de jute a remplacé les motifs graphiques, ce dont je ne me plains pas car il offre un massage tout à la fois doux et tonique à mon épiderme sensible.

J’ai vu ensuite un mur partir en faisant grands bruits, et à un autre endroit, une porte se murer dans le silence, qui ne s’ouvrira plus jamais. Lunatique, ma maîtresse a caché le soleil par ici et l’a fait réapparaître par là-bas.

Comme ça. Parce qu’il faut changer, lui aurait-on dit. Personne n’a osé lui dire qu’il serait bon qu’elle commence par sa coupe de cheveux. Sur la route du changement, on ne s’arrête pas à ces futilités. Le coiffeur ne suffit plus.

Pourquoi s’infliger cette auto-injonction au changement ?

A ce stade de mes interrogations, un constat s’impose : depuis le mois d’avril 2016, j’avale des croquettes de la même marque ; parfois, les jours de fête, je déguste des aliments plus bruts, plus goutus, mais fondamentalement, mon régime reste le même. Mes ballades sont réglées aux mêmes heures chaque jour, et suivent un parcours bien rôdé.

La question du changement ne se pose pas pour moi et à y réfléchir vraiment, je doute fort d’être plus heureux autrement. Quelle plus-value peut m’apporter le changement ? Le sentiment d’être heureux n’a pas de nuances ni de graduations. On se sent heureux ou pas. Prétendre parvenir à se rendre plus heureux dans un nouvel environnement est une contradiction en soi et un aveu de sa frustration actuelle.

On change de support, de décor, de remords et cette impulsion seule suffirait à rendre de l’éclat à nos humeurs ?

Peut-être que dans un premier temps, les limites semblent avoir été repoussées mais l’euphorie n’est qu’éphémère. Sous une lumière nouvelle, elles finissent par réapparaître de façon encore plus flagrantes, alors que nos anciennes habitudes, comme sous l’effet d’une lumière tamisée, les avaient dissoutes dans notre quotidien.

Certes, il est difficile d’ignorer les encouragements de la société moderne à s’extraire des croyances auto-limitantes. Pour qui sait provoquer les césures dans sa vie, se réaliserait la promesse d’une confiance absolue et d’un épanouissement mérité.

Notre conviction est sans doute un peu radicale mais nous affirmons tous les deux, Garou le Fou-Fou et Garou le Prudent, du haut de nos fauteuils de grands sages,  que le changement pour le changement ne vaut absolument rien. La force des animaux que nous sommes est de savoir s’adapter aux changements, à notre environnement, mais la faiblesse de nos Maîtres est souvent de forcer le changement à tout prix.

J’observe ma maîtresse et je vois bien que la volonté de prendre un nouveau virage répond non à une motivation rationnelle mais à une nécessité qui la dépasse. Prendre le contre-pied d’une vie que l’on considère trop bien réglée, n’est que surfer sur une vague trompeuse qui prend naissance dans le lit des éternelles insatisfactions.

Moi, Garou, chien espiègle et parfois docile, déclare que la passion et la liberté se nichent n’importe où, y compris au bout de la laisse. Ma seule préoccupation est de savoir à qui ou à quoi est rattachée l’autre bout de cette laisse et m’assurer qu’il s’agit d’un attachement loyal et solide. Que m’importe de changer de laisse ! Et pourquoi pas un harnais en peau de mouton, juste histoire de changer ?

En revanche, il me faut régulièrement changer d’assise. C’est ma façon à moi de changer de regard ou de posture, comme vous voudrez... par simple jeu !