mardi 5 février 2008

Bille en tête









Il m’accompagne dans les endroits les plus austères, les plus solennels et quand je le presse entre mes doigts, ce bon génie imagine instantanément mon évasion, dans la plus parfaite discrétion.

Lui seul parvient à saisir ma quête de grands espaces et de voyages irréels. Je me demande parfois si l’encre de mon stylo n’a pas des effets hallucinogènes car j’en deviens de plus en plus accroc.

Par bonheur, si l’overdose survient, elle est inoffensive : elle laisse tout au plus une surcharge d’encre, un pâté inesthétique, au pire, un texte indigeste.

Souvent, une simple « ligne » me permet d’effectuer une courte virée, certes, mais lointaine et toujours dépaysante. Ça peut durer un quart d’heure, au plus une demi-heure mais ces minutes ont le charme des instants volés, durant lesquels je garde la pose de celle qui réfléchit à une redoutable stratégie de défense alors qu’en réalité j’ai déjà fugué, à la recherche du pays où l’on n’arrive jamais.

Au début, gagnée par l’impatience, je laisse mon stylo zigzaguer nerveusement sur un brouillon, simplement pour meubler l’attente, trop fréquente, puis il définit des carrés, des ronds et enfin des courbes plus précises. A la fin, j’en arrive à espérer quelques minutes de plus, juste pour lui laisser le temps de parfaire le paysage qu’il esquisse pour moi, de façon plus ou moins inspirée.

Avec lui, je fais mieux que travestir la réalité, je la transcende, par le dessin mais également par l’écriture.

Mes états d’âme ne comptent pas vraiment. Mon écriture peut être sombre quand je suis heureuse ou légère quand les choses me deviennent pesantes. C’est surtout lui qui décide.

Tiens, là par exemple, j’étais décidée à rédiger un texte drôle à partir de ce dessin sympathique qui fait de moi une rebelle fugitive fonçant bille en tête, sous le regard inquiet de son chien, et puis finalement, il me souffle d’écrire sur lui, mon stylo.

Vous parlez d’un sujet ! Il veut nous voler la vedette maintenant, à mon chien et à moi, nous, les supers héros de ce blog ! j'ai réussi à admettre que mon chien puisse me faire de l'ombre mais un stylo bic! il y a des limites à l'humilité...

Ah oui…vous vous demandez sûrement ce que j’ai fait de mon chien… Bug est en panne totale d’inspiration. Je suis chargée de meubler son blog car il ne veut pas que son silence nuise à « la fidélisation de sa clientèle », comme il dit (il considère ses chers lecteurs bizarrement, je trouve).

En réalité, il goûte à de drôles de transports lui aussi, pas au transport de stupéfiants, thème principal de l’audience de ce jour, mais aux transports de l'amour (Ah! l'Amuuur!). Ça le rend un peu moins vivace. On peut même dire qu’il est prostré. Je préfère encore quand il fait des conneries.

Encore heureux que l’inspiration, j’en ai pour deux, surtout quand je n’ai rien à dire.

Lorsque nous sommes à court d’idées, mon stylo et moi, nous restons tous les deux songeurs, silencieux, mais ça ne dure pas bien longtemps car s’il veut échapper à mes mordillements agacés, il doit réagir vite.

Parfois, il prend lui-même le contrôle et je m’essaie alors à l’écriture automatique. Le fruit de notre collaboration reste toujours secret. De toutes les façons, cet assemblage insolite de mots est indécodable.

Et puis, malheureusement, il finit toujours par s’user.

L’encre qu’il verse pour moi sèche ou se raréfie. Son ardeur diminue.

Alors, je le trahis sans une hésitation, en livrant son tracé imparfait à l’efficacité redoutable de mon vieux Toshiba Tecra 8100 qui avale chaque mot, chaque virgule, chaque espace, pour les soumettre systématiquement au test infaillible du vérificateur d’orthographe.

Les mots non référencés par Microsoft sont supprimés froidement, ceux qui ont quelques lettres en surcharge sont sectionnés, et enfin les mots qui n’ont pas soigné leur terminaison, font l’objet d’un remodelage de la dernière syllabe. Le diktat de la chirurgie esthétique règne partout.

Quant aux mots suspects, difficilement identifiables, ils sont soulignés en rouge, comme marqués au fer. Une vraie dictature.

Et pourtant, comme tout le monde, je cède à l’efficacité de cette politique sécuritaire et préfère désormais le clapotis sec et intransigeant des touches de mon clavier au cheminement indécis de mon stylo.

Le glissement intime de sa bille sur les lignes de mon papier d’écolière ne laisse subsister qu’un léger regret.

Le papier se perd, se froisse ou se déchire.

L’encre pâlit.

Nos émotions aussi, me dit-on… Mais alors, que restera t’il ? Peut être cette belle phrase d’Arthur Golden :

Aujourd’hui, je sais que notre univers n’est pas plus réel qu’une vague qui se dresse à la surface de l’Océan. Quels que soient nos luttes, nos triomphes, quelle que soit la façon dont ils nous affectent, ils ne tardent pas à se fondre en un lavis, à s’estomper, comme de l’encre diluée sur du papier (Geisha, Epilogue)

J’aurai pu trouver une pensée un peu moins fataliste pour commencer cette semaine, mais la beauté d’une phrase, qu’elle soit légère ou grave, pertinente ou non, mérite toujours d’être partagée.

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