lundi 29 octobre 2007

Une humeur de chien






Je ne me sens pas beau.

Et puis, je suis tout mou.

Vodka, il me dit que la nonchalance chez les hyperactifs, c’est le premier symptôme d’une dépression. Spartacus, il dit que c’est des conneries et que je ferais mieux d’arrêter de m’écouter.

C’est quoi une dépression ?

Il parait que c'est en rapport avec le sentiment d'abandon. On se sent abandonné, et on abandonne tout.

Mais je ne me sens pas abandonné, nom d'un bâtard, j'ai été abandonné à 5 ans! C'est une réalité, et dans le monde animal, on ne perd pas son temps à se battre contre les réalités.

Il me faut donc fouiller un peu plus, si je veux comprendre la cause de mon malaise.

Dans le Larousse, ça parait clair : 

"Dépression: partie en creux par rapport à une surface (du latin, depressio : enfoncement) ".

Appliqué à mon ressenti personnel, ça donne : « Etat pathologique de souffrance marqué par un abaissement du sentiment de valeur personnelle, par du pessimisme, et par une inappétence face à la vie ».

Si je comprends bien, je serais en train de m’enterrer progressivement, comme si j’étais sur des sables mouvants. C’est vrai que j’ai l’impression que mes pattes s’enfoncent dans le sol. C’est comme si je pédalais à vide.

J’aimerais tellement être un chat, bondir d’une branche à l’autre, faire ma toilette avec grâce et regarder les hommes avec ce regard hypnotique qui en impose.

Au lieu de ça, je ne peux pas m’empêcher d’être lourdaud, maladroit et prévisible. Je frétille de joie dès que je vais me promener, je me cogne dans tous les meubles et je mâche les sièges de voiture pour tromper l’ennui. En plus, ça me fait baver.

Je me pose aussi beaucoup de questions sur mes parents biologiques, surtout depuis que j’entends dire que je suis issu d’un croisement « improbable ». Tout indique que je serais un accident. 

Quand j’ai voulu poser des questions à ma patronne, sur mes origines, elle m’a aussitôt répondu qu’elle allait faire un crumble et qu’après, le ménage l’attendait. Elle a ajouté qu’elle a fait une idiotie en achetant un aspirateur sans sac car maintenant elle prend plus de temps à nettoyer le filtre de l’aspirateur qu’à aspirer le sol.

Je n’ai pas insisté, pour une fois. Je n’y connais rien en électroménager.

Et puis, j’ai d’autres chats à poursuivre, à savoir : mon Questionnement Personnel.

Je n'ose même plus flairer le derrière de Shana. Elle doit avoir honte de se promener aux côtés d’une aberration de la nature comme moi, et elle n’a sans doute jamais osé me le dire.

Même le gigot du Limousin, je le trouve insipide. Le pire, c’est que je dois continuer à faire comme si tout allait bien, pour ne pas alarmer les autres.

Et quand ma patronne se planque derrière un arbre, je fais semblant de la chercher, pour lui faire plaisir. Je prends même la position du chien d’arrêt, à l’affût du moindre bruit et là, en général, elle retient son souffle et essaie d’étouffer un rire. Si ça l’amuse…

Tout me parait tellement vain…tellement répétitif et stérile. Et Vain.

IL m’arrive de rêver d’un ailleurs mais d’un autre côté, je n’ai aucune idée où aller.

Avant, les rêves me stimulaient. Maintenant ils m’angoissent.

Spartacus est persuadé qu’il ne s’agit que d’un état vaguement mélancolique qui prend beaucoup de proportions parce que je ne suis pas confronté à de vrais problèmes.

Il ferait mieux de continuer à courir après les écureuils. Il n'y connait rien, Spartacus, au Questionnement Personnel.

Heureusement, Vodka est plus à l’écoute. Il dit que la Société nous blase trop, que la plupart de nos désirs se réalisent instantanément et que la société de consommation nous abrutit. 

Y a qu'à observer nos Maîtres. IL finissent par déteindre sur nous et nous transmettent leur névrose.

La dépression, c’est une prise de conscience de tout ça, que nos désirs sont infinis et donc jamais assouvis.

J’aime bien me noyer dans les paroles de Vodka. Je les bois sans modération.

Mais je garde mon sens critique.

Et je trouve que c’est un peu réac comme explication. A mon avis, la dépression est tout le contraire d’une prise de conscience : c’est une mise en veille, une parenthèse subie d’où il ne résulte aucun progrès.

On ne se sent nullement grandi d’une dépression. En tout cas, pour l’instant, je me sens petit, petit… et tellement insignifiant. Et Vain.

Vodka, il me répond que finalement Spartacus, il a raison et que je m’écoute trop. En plus, il prétend que je finis par lui ficher le bourdon.

Moi, je lui rétorque que c’est lui qui m’a donné l’idée d’être dépressif et que je ne lui demandais rien au début. J’avais juste l’impression d’être moche et mou.

Vodka, il craint que ce ne soit pas qu’une impression.

Moi, je lui demande s’il s’est déjà regardé, avec ses yeux de gremlins anorexique.

Spartacus s’en mêle pour objecter que ce n’est pas très gentil de s’en prendre à ceux qui proposent leur aide et qu’il a bien l’impression que c’est en train de le foutre en boule ce genre de truc.

Moi, je lui réponds qu’il s’écoute trop et qu’il ferait mieux de passer son chemin s’il ne veut pas que je me fasse appeler Crassus.

Chez le vétérinaire, nous sommes subitement revenus à la réalité. Nous en sommes ressortis tous les trois avec des pansements cicatrisants et une collerette en plastique blanche.

Moi, je me sentais bien à nouveau.

Car j’ai pris conscience d’une chose : Vodka, il est sûrement plus intelligent que moi, et Spartacus sûrement plus fort, mais dans le fond on est tous sacrément vulnérables. Nous n'en menions pas large, tous les trois, sur le billard.

Et je suis même allé plus loin dans la réflexion car j'ai reconnu que j'avais manqué de discernement en m'attaquant à Spartacus.

Je me suis demandé finalement si la dépression n’était pas une surestime de soi, qui conduit à l’oubli des autres. C'était donc, pour un chien, une expérience contre-nature, car nous ne vivons que pour les autres.

Un chien ne trouve son bonheur que dans la société des hommes. Peu importe que certains nous trahissent ou nous jettent comme un jouet devenu trop encombrant. 

Après tout, les humains ne sont que des enfants, des enfants parfois un peu cruels. Ce n'est jamais véritablement leur faute, arrivent-ils à se convaincre. Mais surtout, je suis sûr qu'ils auront toujours besoin de nous. Je n'ai pas le droit de me laisser aller, ce serait les abandonner à mon tour.

Il me revient justement que j'ai oublié ma patronne, quelque part, planquée derrière un arbre. Je vais feindre de l'avoir cherchée partout. Oreilles dressées, et truffe en l'air, c'est reparti! Si ça l'amuse...


Moralité canine: Qui aime son chien, dispose d'un bouclier contre la dépression




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