J’ai perdu ma maîtresse.
Un séjour dans une pension pour bipèdes désoeuvrés, l’a plongée dans un état définitif de contentement
hébété. Je ne peux plus partager avec elle mes angoisses existentielles de pov’chien
rongé par le trauma de l’Abandon, sans
qu’elle ne me tapote le museau, et balance les hanches en scandant
« Wheppa ! Wheppa !».
La pluie, le froid, la réforme de la procédure civile, rien
n’y fait. Depuis son retour, la vie est devenue un terrain de jeu dont elle croit pouvoir
réinventer les règles chaque jour, avec une rigoureuse folie, comme le ferait
un GO du Club Med. « Wheppa !
Wheppa ! »
Je veux bien admettre que faire planer un homme bleu en
cape rouge au dessus d’une piscine pour tenir en respect un requin en PVC, demande une maîtrise aboutie des éléments air
et eau, mais cela ne fait progresser personne.
Qu’a-t-elle donc appris de son évasion, si loin de tout, et
surtout de moi ?
Que rencontre t’on dans la Baie de tous les Saints, sur
l’île d’Itaparica ? Un club Med, des condominiums emmurés (le guide en rit: ici les privilégiés se font eux-mêmes prisonniers de leurs murs) puis, au-delà du récif, des pétroliers et porte-containers.. mais sur le
trois quart de l’ïle, que rencontre t’on exactement?
« Energia ! Energia !» s’écrient-il tous à l’unisson
pour clore le cours de gym aquatique, avant de se précipiter au bar et commander
une caïpi. Ici, aucun jugement, aucune caste reconnaissable, personne ne songe
un seul instant à parler de son activité professionnelle, ni de son rôle dans
la Société. On ne parle pas Misère non plus. Et même en sortie, à Salvadore de Bahia, on explique
au touriste du Club que ce qu’il voit, ce ne sont pas des favelas, mais des « quartiers
naturels ».
Ma drôle y a été victime, je pense, d’une certaine forme de
radicalisation, encore mal connue des pouvoirs publics et qui pourraient bien compromettre
le bon ordre social, si ce mouvement déviant n’était pas contenu dans des clubs
bien fermés, où l’on se permet de rire
haut et fort, de tout et avec tous.
Le rire est oubli, il est mépris des réalités siffleraient les plus virulents.
Et pourtant, là-bas, ma drôle n’en démord pas : le rire,
c’est ce qu’elle a partagé de plus beau, de plus vrai, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières virtuelles
données aux GM (« gentils membres »). IL a été son passeport entre
les deux zones.
Car s’il est interdit au GM de franchir la ligne rouge en
exhibant une montre clinquante, des boucles d’oreilles trop dorées, et même
un simple sac en bandoulière, personne ne lui a demandé de se dépouiller de son
rire.
Elle rêve maintenant d’un nouveau terrorisme qui saborderait l’équilibre d’une société toute entière,
surtout si cet équilibre ne repose que sur des sentiments mortifères : peur,
croyances, frustrations et culpabilité.
Aujourd’hui, quelle grande puissance, quel dirigeant est
vraiment préparé contre le rire, surtout celui qui désarme?
Quand tous travaillent à la persuasion nucléaire, ils négligent
le vrai danger, qui pourrait bien s'échapper des clubs confidentiels d’initiés.
N'oublions pas que dans ces clubs, les hommes costumés qui concentrent tous les pouvoirs, même celui de voler, on les balance joyeusement dans la flotte. Ou du moins, on en rêve.
On ne se méfie pas assez des clubs de vacances mais leur propagande se révélerait redoutable, sortie des petits territoires qu'on leur assigne.
Oui, je lève mes yeux vers ma Drôle, et j'en suis désormais convaincu : elle n'est pas partie en vacances...mais en entraînement intensif.
Oui, je lève mes yeux vers ma Drôle, et j'en suis désormais convaincu : elle n'est pas partie en vacances...mais en entraînement intensif.
Le rire aussi peut manquer sa cible. 2ème tir. |